#2 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

8 février 2015

Marina du Marin

Marina du Marin, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Réveillée par le bruit de la pluie battante contre les volets, j’émerge à 4h30 du matin. Les joies du jetlag…
Malgré la nuit encore bien noire, il n’est pas difficile de comprendre qu’il fait un temps épouvantable.
Le jour se lève d’un coup, dévoilant un ciel plombé. Il pleut à torrents et un brouillard gris floute les contours de la marina.
Mon premier dessin martiniquais sera donc en noir et blanc.
Je tente une expédition au marché du Marin, escomptant une éclaircie miraculeuse. Peine perdue, j’arrive trempée et mes tongs font flic-flac. Mais bien vite, le charme des étals débordants de fruits appétissants aux couleurs chatoyantes et la faconde des marchandes me réchauffe comme un coup de soleil.

Le marché du Marin

Le marché du Marin, gouache et encre.

« Ah ben vous êtes encore là ! »
Je sursaute en reconnaissant mon voisin de siège dans l’avion.
Je tente un « Tiens, vous aussi vous êtes de la Transquadra ? » avec un petit sourire entendu. Il me dévisage, interloqué, comme si je lui avais demandé s’il faisait partie d’une secte : « heu non, on s’apprête juste à partir en croisière entre amis… » Je plonge le nez dans mon dessin en bafouillant : « Ben, bonnes vacances alors !  »
Direction la Marina pour repérer le QG de la Transquadra. J’erre comme une malheureuse toute dégoulinante de pluie à travers les boutiques à touristes, les shipchandlers et les loueurs de catamarans de croisière en essayant de me repérer. Croisant le chemin de deux équipiers de la Transquadra fraîchement arrivés, nous discutons 5 minutes tout en cherchant le bureau de course.
_ Félicitations ! Vous êtes arrivés quand ?
_ Dans la nuit…
Je suis stupéfaite de leur trouver l’air si détendu après 15 jours de course. Moi qui suis défaite au bout de 8 heures de vol passées à lire, manger, dessiner et regarder des films…
_ Alors, tout s’est bien passé ?
_ Super, à part les sargasses qui nous ont pourris. (Une ombre passe dans leur regard soudain plein d’une haine féroce… Vous croyez que j’exagère ?)
_ Ah oui, Laurent m’a demandé de lui expédier des millions de tonnes d’acide sulfurique pour en venir à bout.
_ Nous, on a pensé au napalm !
Au PC course, un rouge me confirme l’arrivée de Laurent prévue dans la soirée, vers 20h30. J’ai tellement hâte de le serrer dans mes bras.
« Bon, vous avez toute la journée pour vous en l’attendant, profitez-en !  »
Il s’est enfin arrêté de pleuvoir.
Je déambule sur le ponton 5 où s’alignent les les premiers arrivés, dont Pierrick Penven sur Zéphyrin, radieux vainqueur des solitaires toutes catégorie.

Pierrick Penven sur Zéphyrin

Pierrick Penven sur Zéphyrin, Encre et aquarelle

Puis je m’attaque à Marylou, juste à côté.
De plus en plus menaçants, les nuages s’accumulent à nouveau et le ciel noircit. Çà y est, les premières gouttes tombent drues et je n’ai que le temps de plier mes affaires en pestant.
_ Allez, venez vite vous mettre à l’abri !
Waouh… un jeune homme brun et ténébreux me fait signe de monter à bord de son gros bateau à moteur.
_ Merci, c’est vraiment sympa.
_ Pour l’art, on ferait n’importe quoi, dit-il en souriant avec des yeux qui pétillent.
Installée sur une banquette moelleuse, à l’abri d’un auvent de toile, dessiner sous la pluie prend alors une toute autre dimension.

Marylou au ponton 5

Marylou au ponton 5, encre et aquarelle

De retour à la maison, je fais un truc qui me paraissait impensable aux Antilles : une tasse de thé brûlant et un long bain bouillant pour me réchauffer car je suis totalement frigorifiée… et désespérée par ce temps pourri qui ne semble pas vraiment sur le point de s’arranger.
Bien décidée à profiter malgré tout de mon après-midi, je réserve une excursion sur l’Aquabulle, un bateau à coque de verre qui permet d’observer les fonds marins. Un plan « vacances débiles à la c… », mais pour une fois, j’assume !
J’embarque donc à 15h00 en compagnie d’un groupe de braves retraités bedonnants et de familles encombrées d’enfants surexcités. Delphine, ne te plains pas, c’était couru d’avance. Tiens, un coin de ciel bleu se dévoile.
Même à travers les parois vitrées de l’Aquabulle et les commentaires ridicules de mes voisins, la magie opère : je ne me lasse pas du spectacle des poissons vibrionnants entre les coraux tels des éclairs d’arc-en-ciel.

Les petits poissons

Les petits poissons, encre et aquarelle

Après une baignade – snorkelling, Clément sert le gouter à bord .
Et hop, un planteur ! Il n’est que 16h30, mais c’est délicieux à n’importe quelle heure.

Clément de l'Aquabulle

Clément de l’Aquabulle, gouache

Fin d’après-midi au Marin.
Je consulte fébrilement les derniers relevés de position. Oxymore est toujours prévu dans la soirée, malgré le vent qui faiblit.
A l’Annexe, je déguste un fabuleux ti punch accompagné d’accras croustillants. J’enchaîne avec le pot de bienvenue offert aux familles par l’Office du Tourisme du Marin. OK pour le planteur fruits de la passion ! J’ignore si mon foie résistera à mes vacances martiniquaises…
Le ciel se pare de teintes flamboyantes et la nuit tombe brutalement. J’ai la tête qui tourne mais impossible de résister à l’appel d’un dessin, surtout quand la lune s’en mêle. Incroyables nuances bleu nuit, bleu marine, bleu roi. Les mats se dressent comme des tiges suspendues par dizaines aux étoiles.
Affalée sous un lampadaire, je goûte le bonheur de peindre les fières silhouettes des bateaux au mouillage en tendant l’oreille pour glaner au vol des bribes d’aventure. « … le premier qui nous sert un plat d’algues au restau, il est mort… »

Marina du Marin, nocturne

Marina du Marin, nocturne, gouache

Comment tuer le temps avant l’arrivée d’Oxymore… Je suis pompette.
Tu me manques et les dernières minutes sont interminables. N’y tenant plus, je me hâte vers la jetée, munie d’un livre pour patienter et d’une bouteille de Champagne. La VHF d’un rouge qui fait les cent pas grésille. Ça y est enfin, on annonce l’arrivée imminente de deux bateaux. Mon cœur fait des bonds. C’est bien toi !!!!!
A 20h19 et 54 secondes tu franchis la ligne d’arrivée, second des solos. Encore un peu de patience avant de voir s’avancer dans le port la coque grise d’Oxymore derrière le zodiac des rouges qui te guide jusqu’à ta place. Enfin, tu t’amarres vers 21h15.
On t’accueille avec des applaudissements et un verre de rhum. Tu souris, radieux avec ta barbe de 15 jours, bronzé, vif et alerte comme si tu venais de faire une simple promenade en mer. Je me jette littéralement dans tes bras en m’envolant sur Oxymore juste avant de me faire engueuler par le rouge qui doit vérifier à bord que tout est bien conforme.
C’est un moment magique : flashs des appareils photo, caméra, interview. J’essuie discrètement une larme de fierté et de joie.
Quelle belle victoire !
Tu as réalisé ton rêve.

Laurent à l'arrivée, Transquadra 2015

Laurent à l’arrivée, Transquadra 2015