#4 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

10 février 2015

Corvée de plonge

Corvée de plonge, encre et aquarelle.

Laurent est une parfaite petite ménagère dès qu’il s’agit de bichonner son bateau et je le retrouve ce matin en train de récurer toute sa vaisselle sur le ponton 5.
Je patiente en dessinant les belles pelotes de cordages patiemment rincées puis enroulées par Hervé qui finissent de sécher sur le pont de Léon.

Les cordages de Léon

Les cordages de Léon, encre et aquarelle.

Puis j’immortalise la cocotte de Pour Aster. Une cocotte, appelée également cocotier, c’est un peu le cauchemar de Jean-François Hamon qui a ainsi ravagé ses spis les uns après les autres. Imaginez le spi, une voile très puissante, si étroitement entortillé autour de l’étai qu’il devient impossible de le libérer sans tout déchirer.

La cocotte de Pour Aster

La cocotte de Pour Aster, encre et aquarelle.

Je parviens enfin à convaincre Laurent de quitter le ponton pour découvrir les environs du Marin. C’est parti à bord de notre petite Twingo de location ! Nous mettons aujourd’hui le cap vers la distillerie Neisson au Carbet, bien décidés à rapporter quelques bouteilles pour remonter le niveau de nos réserves de rhum.

Carnaval des enfants à Rivière Pilote

Carnaval des enfants à Rivière Pilote, encre et aquarelle

A Rivière-Pilote, les enfants défilent en costumes au son d’une sono tonitruante installée dans le camion-benne de la ville. C’est une explosion de bruit, de paillettes et de couleurs ! Les écoles se suivent à travers les rues du village dans un joyeux désordre en brandissant panneaux décorés et banderoles criardes. Je sors mon carnet pour croquer à toute vitesse sans perdre une miette du spectacle.

Le Carbet, rue du Commandant Philipe Paraclet

Le Carbet, rue du Commandant Philipe Paraclet, encre et aquarelle

Nous arrivons au Carbet après un savoureux déjeuner les pieds dans l’eau, sur la plage. Les accras étaient délicieux, surtout accompagné d’un ti punch bien citronné.
Pendant que Laurent se baigne, je m’installe dans la rue, attirée par cet alignement de petites maisons recouvertes de bois baignées dans la lumière. On aperçoit le bleu franc de l’océan, juste après la route. Pas un bruit, sauf les clameurs lointaines d’un défilé de carnaval.
Une dame s’approche pour me proposer un tabouret. Elle s’appelle Lucia, ravie de reconnaître sur mon dessin sa maison, celle avec le rideau qui flotte au vent. Elle me raconte qu’elle et son mari Max viennent de rentrer en Martinique après toute une vie passée à travailler en métropole. Fait du hasard, ils habitaient juste à côté de mon atelier ! Le monde est tout petit… Là, ils finissent de retaper la maison familiale, celle que j’ai dessinée. Je repars avec un kilo d’oranges amères délicieusement parfumées. « Elles viennent directement du piton. Elles sont amères et douces. »
Un oxymore.
Laurent (finissant de sécher au soleil) : « dis-donc, elles sont extensibles tes 20 minutes ! Ça fait 1 heure que je t’attends !  »
Moi : « Ben, je discutais. Regarde, on a des oranges pour le ptit déj !  »
Laurent : « Bon, filons à la rhumerie avant que ça ferme. »
Çà, c’est sacré…

#3 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

9 février 2015

Oxymore à l'arrivée

Oxymore à l’arrivée, encre et aquarelle

Après l’heure de l’arrivée, voici venue l’heure du rangement !
Nous avons laissé Oxymore en vrac, trop fatigués hier soir.
En montant à bord, Laurent s’exclame : « Je vais ranger, je jure !  » tandis qu’un journaliste pointe son micro pour l’interviewer.
Jetant un oeil à l’intérieur, je suis effarée par ce que je découvre : un tas de voiles en boule, de la vaisselle sale, des cordages abandonnés, des vêtements épars ! C’est monstrueux, une vraie vision d’horreur ménagère, mais absolument réjouissant pour dessiner.
Tandis que Laurent raconte sa course en long, en large et en travers, je démêle à la pointe du pinceau spis, focs, gênois, harnais et tutti quanti.
Quand on voit l’état de son bureau à la maison, ce n’est finalement pas si différent.
Nous croisons François, skipper sur Crescendo, un peu plus loin sur le ponton. Il rigole en découvrant le dessin.  » Tu peux faire la même chose sur Crescendo ?  » Allez, me voici donc promue croqueuse de bazar marin…

Crescendo à l'arrivée

Crescendo à l’arrivée, encre et aquarelle.

Assise en haut de la descente, je contemple un fatras puant, légèrement incommodée par l’odeur mâle qui s’en dégage. Eux, ils étaient deux, et ça se sent !

La journée s’écoule tranquillement au rythme des pots à l’Annexe, des retrouvailles, des histoires de course, des arrivées qui se succèdent.
Laurent est dans une forme olympique ! Tandis qu’il plie ses voiles au carré, je sirote un coca en écoutant d’une oreille distraite les conversations des Rouges.

A l'Annexe

A l’Annexe, encre et aquarelle

Les rues du Marin sont désertes.
Sauf une vieille dame affalée sur une chaise devant sa porte, qui semble assoupie. Elle ouvre un oeil tandis que je la croque à toute vitesse.
_ Vous faites quoi, vous ?
_ Moi ? Heu… rien…
_ Vous êtes là pour quoi ?
_ Mon mari a fait la Transquadra, il est arrivé hier soir.
_ Ah.
Elle ferme les yeux. Silence.
_ Ahhhhh, c’est pas comme ces jeunes qui ne font rien ! Vous, vous faites quelque chose, au moins.
_ ???
_ Aie aie aie aie aie…Ahhhhhhhhh… Ces jeunes !
Finalement, je décide d’écourter mon dessin !

La vieille dame du Marin

La vieille dame du Marin

Le Marin

Le Marin, encre et aquarelle

Quel bonheur de croquer depuis notre terrasse une forêt de mats ensoleillés et tintinnabulants. Je commence enfin à me sentir un tout petit peu en vacances…

Marina du Marin

Marina du Marin, encre et aquarelle

Laurent bricole sur Oxymore, tandis que sur le ponton 5 il règne une vie incroyable. Quelle ambiance ! Les équipages se saluent, plient les voiles, briquent le pont, lavent leur linge sale en famille, discutent, lorgnent l’état du bateau voisin, comptabilisent la casse. On échange des nouvelles :  ceux qui sont encore loin, les démâtés, les touchés-coulés… Cette édition fut riche en péripéties, mais heureusement, aucune perte humaine à déplorer.
26 janvier 2015 : Flor Da Rosa démâte et fait route vers les Canaries sous gréement de fortune. Quattro démâte également et met le cap vers le Cap Vert.
Le 27 janvier, Patrice Carpentier tombe à l’eau, rattrapé de justesse par son équipier Dominique Bleichner.
28 janvier : Laminak démâte à son tour. L’équipage demandera son évacuation le 1er février.
30 janvier : Zinzolin chavire, roulé par une déferlante. Malgré une très grosse frayeur, l’équipage est récupéré sain et sauf par un cargo. Le bateau est abandonné.
4 février : Solua coule suite à une voie d’eau. Renaud Barathon a pu être évacué à bord de Ven dan Vwell, l’équipage martiniquais de la course.
Et puis on ne compte plus les spis déchirés, les safrans dézingués, les pannes électroniques, les mats qui bougent tout seuls…

Scène de vie ordinaire sur le ponton 5

Scène de vie ordinaire sur le ponton 5, encre et aquarelle

Jean-Pierre Kelbert, perché en haut de mât, hurle à Hervé :
_ Ça y est ! J’ai viré le messager !
_ Je peux te descendre maintenant ?
Moi : « Heu… C’est pas très sympa ce que tu lui dis-là !  »
Hervé : « ???? »
Moi : « Non mais, quand on descend quelqu’un c’est tout de même un peu définitif ! »
Hervé : « Mais j’vais pas le laisser là-haut, quand même ! »
Moi : « Laisse tomber… Heu, non, pas tout à fait !  »
Hervé : « ???? »
Moi : « Rien rien… »
C’est corrosif, le sel marin, parfois…

JPK en haut du mât

JPK en haut du mât, Encre et aquarelle

On croise Dominique Bleichner devant Groupe 5.
_ Alors, raconte-nous ce sauvetage !
_ On a eu peur… C’est dingue comment on peut avoir les bons réflexes… A une ou deux minutes, Patrick était mort.
La voix tremble.
_ Allez, c’est l’heure de l’apéro. Tu viens ?

#1 Transquadra, Madère-Martinique, Carnet de voyage

7 février 2015

En route vers Orly, je frétille d’impatience à l’idée de retrouver Laurent en Martinique.
Il a pris le départ de la seconde étape de la Transquadra sur Oxymore le 24 janvier pour une transatlantique à la voile en solitaire reliant Madère au Marin en Martinique.
Quatrième au classement des solos Saint-Nazaire à l’issue de la première manche, il s’est posé depuis de nombreuses questions existentielles sur ses capacités à traverser l’Atlantique. « Et si je suis ridicule ?, et si et si et si… »  Nous avons eu droit à tous les symptômes psychosomatiques avant son départ pour Madère : état grippal, mal au ventre, un mal au genou inexplicable, une humeur de dogue…
Moi, j’ai confiance !
24 janvier, 8h30
Moi (France) : Ben, je t’appelle pour te dire au-revoir…
Laurent (Quinta Do Lorde) : Hrumfff.
Moi : ???? Bon, ça va ?
Laurent : Oui oui.
Moi : Tout se passe bien ?
Laurent : Oui oui.
Moi : Bon, ben sois prudent, j’ai confiance en toi, t’es le meilleur, tu vas me manquer, je t’aime…
Laurent (pressé): Oui oui, bon je dois te laisser. A plus.

Je raccroche, dépitée. « A plus… » A l’entendre, on a l’impression qu’il sort acheter le pain ! Je réalise qu’il part pour au minimum 15 jours de traversée, tout seul, à la conquête de l’Atlantique.

Laurent fait une course magnifique et tactique, longtemps en tête du classement, dépassé depuis peu par Zéphyrin. Je suis les relevés de positions toutes les quatre heures, et les actus postées par les Rouges sur le site de la Transquadra. Arrivée prévue d’oxymore le 8 février dans la soirée, second au classement et largement devant le troisième. L’honneur est sauf !

Orly Sud

Orly Sud, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Je tue le temps en dessinant depuis une salle d’embarquement inondée de soleil. Air Caraïbes se fait une beauté sous un magnifique ciel bleu… et je suis enfin en vacances, pressée de découvrir la Martinique et rêvant de ti punch sous les cocotiers !

En cabine, vol TX5924

En cabine, vol TX5924, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Tout en croquant mes voisins distraitement, je songe aux mails trop rares de Laurent. Il faut bien avouer que le prix de la minute du forfait iridium par satellite décourage toutes velléités d’écriture. J’avais des consignes précises : pas plus de 2 lignes, pas de texte en gras, pas d’images, pas de majuscules, pas d’italique.
Moi, ironique : tu préfères que je laisse les mots tout attachés sans espaces sans ponctuation pour économiser des octets, ou bien j’ai le droit de les séparer ?
Laurent : Ha ha ha…
Quand un mail en provenance d’Oxymore@skyfile.com atterrit dans ma boîte, mon coeur palpite et je tangue… Grâce au ciel, on a des nouvelles de la mer : magique !

27 janvier

Bon, ben… RAS en fait ; il y a plus de vent que prévu (23 à 30 nds), le bateau va bien, je suis sous spi, ça avance pas mal… mon option sud est volontaire (disons que j’ai suivi le routage !), mais je pense me recentrer demain. Pour ce qui me concerne, aucun bobo, je suis juste très fatigué, j’aimerais bien un poil moins de vent pour pouvoir dormir plus !

Tombé à l’eau le 27 janvier, Patrice Carpentier est récupéré de justesse par son équipier, on dénombre pas mal de casse (démâtages, chavirages, voies d’eau) et des bateaux perdus. Heureusement, les hommes ont tous été sauvés malgré des situations compliquées. Je commence à stresser en sachant Laurent tout seul au milieu de l’Atlantique. Il fait une superbe course, premier au classement des solitaires.

Classement 28 janvier

Classement 28 janvier

30 janvier
Coup de mou hier (bricolage pénible, bateau mal réglé, hypoglycémie probable,
allure chiante) , mais c’est passé et ça repart ! hier les autres ont fait à
peine mieux mais j’ai pas le classement de ce matin. A suivre !

31 janvier
je n’ai pas le classement de ce matin mais ça va pas être beau : nuit catastrophique sans vent, j’ai eu le tord de suivre le routage qui, en théorie, contournait la zone de « molle » mais en pratique, ben, pas totalement… heureusement c’est revenu ce matin. Je crains que mes camarades plus au sud n’aient pas eu cette molle et me passent en une nuit! Bon,à part ça, RAS, le spi orange est en l’air, le prochain empannage est prévu pour demain fin d’après-midi (sauf imprévu, grain, etc.), le skipper va bien. Pour l’iridium, il me reste ce matin 39 mn, avant envoi de ce mail et réception du classement. Je consomme env. 20 mn par jour (1 classement = 4 mn, 1 requête GRIB = 2 mn, réception du GRIB = 6 mn, le tout c’est si ça plante pas parce qu’alors faut recommencer… et les minutes « perdues » sont quand même décomptées, évidemment). DONC : il va falloir en remettre ; MAIS on est le WE et ça risque d’être fermé, en tout cas demain c’est sûr. Peux-tu voir s’il est possible de remettre des minutes aujourd’hui (ce matin), sinon à défaut lundi matin à la première heure ? (de toute façon je risque de n’avoir ni météo ni classement avant lundi, on ne peut pas dire que ça m’arrange…).

2 février
Merci pour la recharge Iridium. J’ai reçu un classement (so far so good), pas encore la météo. Bon, apparemment ceux du sud n’ont pas franchement plus de vent, les écarts
semblent se tenir depuis « la molle ». J’aurais repris 3 milles à Pierrick cette nuit ?
D’après Rémi, plus de grand spi pour JF Hamon, dommage pour lui mais pour moi c’est une bonne nouvelle… je caresse l’espoir qu’il reste derrière ; reste Pierrick Penven, l’animal va vite et il est bon en nav ! Du coup, au Général, ça pourrait faire podium si Solua reste bien là où il est, voire 2 si j’arrivais à mettre JFH suffisamment loin derrière…? On verra, il reste encore pas mal de route, ne vendons pas la peau etc etc !! Sinon, super conditions de nav, sous spi et sous le soleil, même si parfois c’est un peu « mou » ; le bateau va bien (et il a toutes ses voiles, lui !), le skipper aussi. Il pense à se laver pour la 1ère fois depuis le départ, c’est dire !

Ah ! Cette fameuse molle que d’autres appellent également bulle. Elle fait débat, entre les partisans de la ligne directe, ceux de la route nord et les Sudistes.
Visiblement, la ligne droite n’est pas la plus rapide et nombreux sont les concurrents tombés dans le piège de cette bulle anticyclonique : rien d’autre à faire que de se traîner à 3 noeuds de moyenne tandis que doublent à toute vitesse les tenants de la route sud bien plus ventée.
Mais c’était sans compter les sargasses… car voilà le véritable ennemi des concurrents : une algue malfaisante qui les a tous traumatisés. De gigantesques nappes de sargasse, véritables pièges pour les safrans, empêchant d’avancer, déréglant le bateau et contraignant les skippers à d’épuisantes manoeuvres.

3 février
Des algues, des algues, P….. D’ALGUES !!! c’est insupportable.
T’aurais pas quelques millions de tonnes d’acide sulfurique sous la main ??

Ils ont tous eu des pensées meurtrières envers les sargasses : l’acide, la marée noire, le napalm… La première question sur les pontons, à l’arrivée : « alors, comment t’as fait avec les sargasses ? » et la réponse : « Saloperie de merde, on en a bavé… une autre Transquadra avec les sargasses ? Ah non, certainement pas. »

3 février, plus tard
Bon, tu auras peut-être remarqué des vitesses inhabituellement basses… j’ai décidé de prendre un bain. De 3 heures. Volontaire, dans un sens (je ne suis pas tombé, j’y suis allé de mon propre gré) mais forcé quand même, pour démêler un bras de spi pris dans la quille, l’hélice, les safrans… C’est reparti, je suis pas mal énervé mais toujours motivé.
J’ai hâte de te voir…

Je tente d’imaginer Laurent barbotant dans les algues pour une petite thalasso, juste raccordé à Oxymore par un bout, en plein milieu de l’Océan, sans âme qui vive autour… Je ne suis pas d’un naturel stressé, mais là, tout de même ! Le fin mot de l’histoire : 3 heures passées sous la coque pour démêler un bras de spi entortillé dans l’hélice parce que cet étourdi avait embrayé son moteur en marche arrière (les équipages ont le droit de démarrer le moteur au point mort pour recharger les batteries uniquement). Et Zéphyrin qui prend de l’avance ! Je lance une imprécation contre Pierrick depuis mon atelier : cela a pour effet immédiat de cramer ma box internet et de me valoir 2 heures de hotline avec Orange (qui n’a de hot que le nom et la couleur…)… Véridique !

6 février
Nuit pluvieuse, venteuse, lever de soleil gris et humide… on se croirait n’importe où sauf aux Antilles ! heureusement que j’ai un clavier étanche … Je n’ai pas le classement de ce matin mais pour la victoire ça sent pas bon ; reste à accrocher la 2ème place, suffisamment loin devant JF Hamon ! Quand arrives-tu ? Pour moi, sans doute dimanche dans la journée, à voir.

From the sky

From the sky, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Nous atterrissons  dans deux heures environ. Un dernier croquis – j’adore le Boeing 747, spacieux et lumineux – de la cabine. Malheureusement, impossible de dessiner à l’intérieur du cockpit, même en faisant les yeux doux à l’équipage.

En cabine, vol TX 5924

En cabine, vol TX 5924, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Bienvenue à Fort de France, température au sol 30 degrés, ciel gris, nuageux, petite pluie.
Il est 16h00, heure locale.
Après avoir récupéré ma valise, je saute dans un taxi tandis qu’une espèce de fanfare de carnaval tambourine dans un vacarme indescriptible à la sortie de l’aéroport. Direction le Marin.
Il pleut des trombes d’eau. Disons que ça porte bonheur…

Un croquis, une histoire : en cabine

En cabine, vol Paris-Istanbul Air France

En cabine, vol Paris-Istanbul Air France, Encre de Chine et aquarelle, Delphine Priollaud-Stoclet

Je collectionne les dessins de cabines, de galleys et de cockpits – même s’il est devenu très difficile de s’immiscer comme je le faisais avant dans le poste de pilotage.
Le sésame : un dessin !
Il suffit d’ouvrir mon carnet et de commencer à croquer un passager endormi pour qu’un steward ou une hôtesse s’interrompe dans son service en engageant la conversation. Et je lis toujours la même envie de « savoir dessiner » à travers les mots et les sourires. L’admiration également, même si pour moi cela n’a rien d’extraordinaire d’esquisser au fil de mes carnets les rencontres, émotions, joies et souvenirs qui jalonnent mes parcours quotidiens.
Fabrice débarrasse les plateaux-repas, intrigué par mon carnet :
« Ça vous dirait de nous dessiner moi et mon collègue dans le galley ? »
Moi : « Bien sûr… Et vous croyez qu’un dessin dans le cockpit, ce serait jouable ? »
Fabrice : « Il sont sympas sur ce vol. On est un peu près de l’atterrissage, mais je vais voir. »
Il revient : « Ils auraient bien aimé, mais il y a déjà un visiteur. Une autre fois, peut-être ! Mais nous on est partant pendant notre pause déjeuner. »
J’embarque donc mon carnet et un feutre, et c’est parti pour un dessin-minute juste avant la phase de descente.

Pause repas

Pause repas dans le galley, encre de Chine.

« Veuillez regagner votre siège, remonter votre tablette et le dossier de votre siège et attacher votre ceinture… »
Il pleut sur Istanbul.

Mon rêve d’Islande

L’Islande est un fantasme, une idée que je nourris depuis longtemps…
J’en ai rêvé pour le concours organisé par Nouvelles Frontières  » Gagnez le voyage de votre vie » et j’ai eu la joie de remporter le second prix avec ce texte accompagné d’ébauches picturales.

Islande - Carnet rêvé

Islande – Carnet rêvé

Quel pays dessinerait la Terre comme une autre planète ?
Comment voyager aux confins de l’univers vers ces lieux incertains qui peuplent mes rêves ?
Quelle terre épouserait l’eau pour enfanter le feu et le ciel ?
Quelle écorce arracherait de ses entrailles fumantes de spectaculaires geysers ?
Vert de gris, bleu céruléen, cramoisi d’alizarine, noir d’ivoire, auréoline. Pigments essentiels pour capturer les quatre éléments réunis, mes inséparables aquarelles.
De l’eau, de l’encre, le blanc et le grain de la feuille.

Islande - Carnet rêvé

Islande – Carnet rêvé


Je songe à une île unique où vagabonder au rythme de mes étonnements, l’espace d’un territoire à mille lieux des paysages connus et reconnus.
Mon doigt s’attarde au Nord de la mappemonde dépliée.
Islande, terre de glace au cœur brûlant. Palpitant oxymore.

Islande - Carnet rêvé

Islande – Carnet rêvé

 Les plaines d’Islande chuchotent à l’oreille des cailloux des mots arides aux tonalités soufrées. Des syllabes imprononçables formées de lettres existant nulle part ailleurs ajoutant au mystère d’un pays qui dérive à la lisière du globe.
La toundra frémissante parée de fleurs sauvages et mauves ondule, offerte à la caresse de l’air pur.
Je suis prête à échanger mon cher soleil flamboyant contre le pâle et mystérieux soleil de minuit.
La nuit polaire, couronnée d’aurores boréales phosphorescentes, resplendirait d’une lumière magique pailletée d’or et d’argent.
J’aimerais parcourir à pied ces déserts de pierres ponctués de volcans cracheurs de flammes et de cendres, deviner les eaux bouillantes emprisonnées sous les glaciers, explorer de nouvelles frontières picturales.

Voir naître le cosmos,  jouer avec le feu.

Un retour aux sources.

Peindre les gris colorés et l’éclat du chaud.
Jeter sur le papier la trace de mes pas.
Rapporter le carnet d’un voyage alchimique.

Islande, mon rêve de fin du monde.

Islande - Carnet rêvé

Islande – Carnet rêvé

C’est le souk ! Carnet de voyage à Marrakech novembre 2013

Tap tap tap, vrouuuummmmmmmm vrouuuuuummmmmmmmm, chchchch…. Le martèlement des ferronniers dans le souk Hadadine et la douceur de la laine feutrée chez les Teinturiers ; la lumière filtrée par les lanternes ajourées suspendues à un rayon de soleil ; les pigments éclatants rassemblés en perles de laine et babouches aguicheuses qui pointent leur nez, serrées comme des sardines multicolores.
Marrakech la bariolée fait son show et j’adore ça !

Dans le souk Hadadine

Dans le souk Hadadine, encre et gouache, Delphine Priollaud-Stoclet. Carnet de voyage à Marrakech

Souk des teinturiers

Dans le souk des teinturiers, encre de Chine, Delphine Priollaud-Stoclet. Carnet de voyage à Marrakech

Royal Boat !

Oxymore est né, vive Oxymore !
La mise à l’eau d’Oxymore s’est faite dans les règles de l’art hier après-midi à la base sous-marine de Lorient.
Oxymore est le nouveau-né tant attendu de la famille, le voilier amoureusement et patiemment pensé par Laurent depuis des années, construit par Jean-Pierre Kelbert (JPK).
Nous avons donc fêté comme il se doit l’arrivée de ce JPK 10.10 qui promet de belles escapades…
Il est magnifique avec son pont en teck, sa coque « grey storm » et son mât tout noir !

Mise à l'eau

Mise à l’eau d’Oxymore à la base sous-marine de Lorient. Encre de Chine, Delphine Priollaud-Stoclet (c)

Installation du mât

Installation du mât, encre de Chine, Delphine Priollaud-Stoclet (c)

Pendant que Laurent règle les derniers détails techniques, je m’éclipse pour boire un café au Poulpe, avenue de la Perrière. Attablés à la table voisine, deux messieurs discutent tranquillement en lorgnant sur mon carnet Moleskine : une conversation s’amorce tout naturellement et nous parlons peinture, école de Bretagne et beaux-arts. Drôle de rencontre ! Toujours la magie du dessin qui délie les langues et les esprits, sans parler de la main…
Suivant leur conseil, je prends la rue du Chalutier les deux anges pour dessiner dans le chantier naval tout proche les vieilles coques rouillées tandis que les mouettes tournoient autours des chalutiers du port de pêche et poussant des cris perçants.

Les coques abandonnées

Les coques abandonnées, encre de Chine et gouache, Delphine Priollaud-Stoclet (c)

Il est 17h00, l’heure de boire le Champagne en l’honneur d’Oxymore ! Nous nous retrouvons au chantier de JPK (Jean-Pierre Kelbert) avec les compagnons qui ont construit ce bateau en soignant les moindres détails. Laurent est sur un petit nuage, songeant probablement à la prochaine étape : la Transquadra 2014, une transatlantique en solitaire où il a l’intention de briller…

Champagne !

Champagne ! Encre de Chine et gouache, Delphine Priollaud-Stoclet (c)

ESQUISSES BIRMANES # Extraits 1

Carnet de voyage au Myanmar, 23 mars 2013 – 7 avril 2013

Jeune femme, Cité royale d'Awa

Jeune femme, Cité royale d’Awa, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013(c)

Quinze jours pour arpenter au pas de course une terre d’or, d’eau et de rêves.
Quinze jours pour embrasser un peuple au sourire éclatant.
Quinze jours pour essayer de percer à jour les enjeux d’une situation politique compliquée.
Quinze jours pour se plonger dans l’intimité de Bouddha.
Quinze jours de dessin frénétique au rythme des milliers de pagodes de Bagan, des reflets ondulants du lac Inle, de la poussière d’ocres et d’oxydes poudrant les routes cahoteuses, des visages rehaussés de tanaka et des crachats écarlates de jus de bétel.

Wynn, notre guide au français impeccable, est un homme d’une belle générosité.

Wynn

Wynn mange sa soupe – Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet (c)

Il m’a emmenée à Fairy Land, un surnom qu’il a donné à un ensemble de pagodes en ruines dissimulées au cœur d’une végétation luxuriante, pour me montrer une statuette de Bouddha qu’il avait soigneusement cachée là des années avant pour la protéger ; il m’a présentée à son Bouddha préféré dans la grotte de Pindaya et nous avons longuement discuté tandis qu’il le dépoussiérait avec des gestes incroyablement doux ; il m’a ouvert les portes d’un monastère seulement habité par un unique moine vénérable très âgé et quelques chats, et s’est adonné aux prières rituelles en toute confiance ; enfin, après s’être livré sans fards sur la condition politique de son pays, il nous a offert l’hospitalité à Yangon dans le monastère qu’il a contribué à faire construire avec l’argent de ses pourboires. Quelle expérience que celle de déguster des mets inconnus tandis que les fidèles se succèdent pour lire sans interruption la vie de Bouddha…

Moine

Moine,

Grâce à lui, j’ai découvert une Birmanie hors des sentiers battus, une Birmanie faite de chair, de sang, d’or et de terre. Une Birmanie aux couleurs épicées et aux saveurs douces-amères.

Sur la route

Sur la route, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Le giacaranda violet

Le giacaranda violet, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Sitôt atterrie à Yangon, me voilà projetée sur l’esplanade de la fabuleuse Pagode Schwegadon, toute vêtue d’or et de brillants.

Grande Pagode Schwegadon, Rangoon

Grande Pagode Schwegadon, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

La foule est aux petits soins pour Bouddha et ses innombrables répliques : offrandes parfumées, bains rituels, prières… J’ai le vertige, autant à cause du jetlag que de sentir grouiller autour de moi autant de monde. Et pourtant je suis apaisée et sereine, heureuse de dessiner et étonnée de voir à quel point les visiteurs birmans s’intéressent à mes aquarelles. Je suis photographiée sous toutes les coutures… L’arroseur arrosé !

A Schwegadon

A Schwegadon, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Petite nonne en méditation, Schwedagon

Petite nonne en méditation, Schwedagon, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Incomparable quiétude de Bagan, la plaine aux huit mille temples. Stupas et pagodes surgis de terre tels des fleurs de pierre centenaires poudrées de rouge, de chaux et d’or. Noyés dans une brume bleutée, les temples apparaissent et disparaissent comme par enchantement, tantôt flous, tantôt silhouettes délicatement ciselées par le ciel.

Bagan

Bagan, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Les cérémonies des offrandes se succèdent sous l’œil tutélaire des Bouddhas de plus en plus obèses au fur et à mesure que les croyants collent avec dévotion d’impalpables feuilles d’or martelées, gages de leur foi.

Moines à Bagan, pendant la cérémonie des offrandes

Moines à Bagan, pendant la cérémonie des offrandes, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Frappeurs d'or à Mandalay

Frappeurs d’or à Mandalay, Carnet de voyage en Birmanie, Delphine Priollaud-Stoclet 2013 (c)

Esquisses parisiennes – Carnet de voyage à Paris

Une éternité que je ne m’étais pas promenée rue des Rosiers… Souvenirs de falafels chez Marianne, mon repas préféré d’étudiante, et réminiscences fugaces de mon voyage en Israël, il y a bien longtemps. Je dessine, sous le charme.
Un rabbin débonnaire s’attable à une terrasse, altercations sympathiques entre un monsieur mal garé à la faconde joviale et une contractuelle tatillonne, le bonheur d’un rayon de soleil qui joue à cache-cache.

Rue des Rosiers, Paris

Rue des Rosiers, Paris, 3 juin 2013. Gouache sur Moleskine. Delphine Priollaud-Stoclet (c)

Autre jour, autre ambiance ! Invitée hier soir (4 juin) à l’anniversaire des 10 ans de Monde authentique sur la Péniche Le Quai amarrée Quai Anatole France, je cède à la tentation et croque en cinq minutes la vue époustouflante. Rien à dire : Paris est une fête !

Depuis la péniche Le Quai, Quai Anatole France, Paris

Depuis la péniche Le Quai, Quai Anatole France, Paris. Encre sur Moleskine. Delphine Priollaud-Stoclet (c)

J’en profite pour remercier Frédéric, Clothilde, et toute l’équipe de Monde Authentique, ainsi que Oman Air et AR Magazine de m’offrir un superbe voyage à Zanzibar grâce à mon précédent billet dédié à cette île inoubliable et attachante.

La tentation de Zanzibar

Chronique de mon voyage à Zanzibar, merveilleusement conçu à la carte par Clothilde, de l’agence Monde Authentique, en juin 2012.
11 juin 2012, Roissy CDG, Terminal 2A porte A43.
Dans l’urgence, je dessine le trio de Japonaises désœuvrées qui s’ennuient face à moi. Quatre sœurs indiennes m’accostent dans un anglais très épicé : « Oh, you’re a sketcher !!!! » Yes, indeed…

A Roissy, départ pour Zanzibar

Nous embarquons quelques minutes plus tard sur un vol Oman Air.
Ultime destination : Stone Town, Zanzibar.
Zan-zi-bar… consonances parfumées au réglisse et allitération préférée des abécédaires, rime joyeuse, le prénom magique d’une île singulièrement lointaine. Mon rêve rimbaldien prend forme, enfin… Je pars dessiner les trésors dissimulés derrière de lourdes portes sculptées, les femmes voilées métissées d’Inde, d’Afrique et d’Orient, le goût amer du café noir et la saveur des épices, l’ombre pesante des marchands d’hommes et de femmes, l’océan paré d’émeraude et de turquoise.

En vol, puis en escale à Muscat
Les hôtesses, ravissantes et attentionnées, évoluent en uniforme céruléen. Belles à croquer !

L’Orient des mille et une nuits palpite en escale à Muscat dans mon carnet Moleskine tandis que l’aquarelle souligne une ombre mordorée, un œil voilé, des tissus d’ailleurs.

Escale à Muscat

Escale à Muscat

De Muscat à Zanzibar

Le 12 juin 2012, je pose enfin le pied sur Zanzibar et les yeux sur l’Afrique orientale.
A cet instant, les heures s’allongent et les jours s’étirent.
Détendu comme un vieil élastique, sans mesure fixe, le tempo de Zanzibar bat au rythme des pages de mon carnet.

Kizimkazi

Kizimkazi

De Kizimkazi à Jambiani les acrobates enchaînent sur le sable blanc les sauts périlleux et les jeunes filles déploient leurs voiles bleus d’écolières. Les ramasseuses d’algues et les pêcheurs de coquillages entament une chorégraphie rythmée par les marées. Le sable mouillé brille en reflétant la course des nuages.

Zanzibar

Ramasseur, Zanzibar

Ramasseuses de coquillages

Enfant, Zanzibar

Jambo, jambo ! Les enfants du village, curieux, déboulent.

Princesses en haillons du dimanche et petits garçons fanfarons, la morve au nez, le verbe aigu ; ils se moquent ouvertement, singent notre accent français quand nous balbutions quelques mots de swahili, et quémandent avec un sourire éclatant un stylo, un bonbon, un dessin.

Fillette, Zanzibar

Enfants, Zanzibar
Femme, Kizimkazi

Les villageoises se méfient des esquisses à leur image. Je capte à la volée une silhouette féminine bien vite dissimulée, de temps en temps un portrait consenti.

Marcheuse, Zanzibar
Le village de Jambiani, Zanzibar
dala-dalamangrove, ZanzibarAli nous transporte en dala-dala sur Uzi Island. Expérience tape-cul du cahot ! Un baobab déploie son ombre et me parle d’Afrique. La vie s’écoule paisiblement dans ce village du bout du monde accessible uniquement par une route pavée de corail tracée à travers la mangrove arachnéenne.
Uzi Island
Inoubliable pique-nique sur la plage déserte, composé de savoureux poissons grillés au barbecue et d’ananas sucré.
Uzi Island, après le pique-nique

Boutre, Uzi IslandCertaines somnolent à l’ombre du dala-dala ; je préfère fouiller le sable à la recherche des coquillages ciselés par l’océan, ou dessiner à l’ombre d’un boutre échoué.

Le temps s’étire lentement, avec une grâce toute féline.

 

« …cette insouciance, cette apparente absence de mémoire, qui font la beauté de ces palais abolis, de ces cimetières d’une religion indécise, aux tombes renversées, de ces escaliers effondrés donnant sur des cours vides d’où jaillit la flèche d’un cocotier, de cette forteresse portugaise livrée aux piaillements des orphelins d’Etat et de ces bains persans aux coupoles béantes, alourdies de chauves-souris en grappes […] attestant que si l’Afrique est le continent où les choses vieillissent le plus vite, c’est aussi celui où elles durent le plus longtemps. »
La ligne de front, Jean Rolin

Stone Town
Aspirée par les ruelles étroites de Stone Town, je plonge au cœur de la ville mère de toutes les villes, assaillies par d’autres souvenirs de voyages.
Une parcelle de La Havane, un fragment marocain, des réminiscences vénitiennes, quelques soupçons d’Inde et d’Asie…
Stone Town
Echoppe, Stone Town, ZanzibarEnfant, ZanzibarAladin surgit à chaque croisement, espiègle, courant vers quelques menus trésors ; Shéhérazade et ses sœurs déambulent, indifférentes à ces merveilles, s’arrêtent quelques instants, happées par l’ombre d’une échoppe, puis disparaissent dans l’entrebâillement d’une monumentale porte cloutée fleurie d’arabesques, aussi vite refermée.
Stone Town
Un chat peu farouche à l’allure égyptienne se laisse caresser. Il se frotte à mes jambes, certainement un habitué de ce kiosque en front de mer des Forodhani Gardens idéal pour déguster un expresso.
Des adolescents entament un concours de plongeons ; un porte-containers barre l’horizon.
Porte-containers, Stone Town, Zanzibar
Le décor parfait pour une gouache rapide, point de départ d’une longue conversation avec le serveur, étudiant en arts plastiques. J’apprends que je suis déjà repérée dans toute la ville… « You are the painter ! »

Happy hour !Les soirées commencent par un cocktail au Mercury’s bar, quand le soleil se couche sur le ballet rougeoyant des jonques et des boutres. Elles s’achèvent par un verre sur la terrasse oriental chic du 236 Hurumzi. Des toits de Stone Town intimement enlacés émergent coupoles et  minarets sonores, balustrades en dentelle de bois et de métal ajouré, clameurs de rue.

Marché de Stone Town, Zanzibar
Au marché, Stone Town

L’âcre puanteur du poisson séché ne m’indispose même pas, les couleurs vives du marché de Darajani s’imposent avec puissance.
Une poubelle nauséabonde accapare le meilleur point de vue sur les régimes de bananes géantes et les étals de fruits et légumes.

Au marché, Stone Town

Tant pis ! Je me cale tant bien que mal en évitant les nuées de mouches vertes pour peindre la lumière orange et bleue projetée par les voiles tendues en guise de parasols, la chaleur poivrée, le rouge piquant des piments, le souffle de la foule, l’énergie nourricière et ces goûts que je devine puissants, sucrés et amers.

Quittant Stone Town, je songe à cette minuscule cellule du Marché aux esclaves où s’entassaient plus de trois cents hommes, femmes et enfants enchaînés, affamés, assoiffés, malades. On envoyait les survivants suer sang et eau dans les plantations de giroflier pour le compte du puissant sultan de Mascate.

Pêcheur, Nungwi, Zanzibar

Pêcheurs à Nungwi, Zanzibar

A Nungwi, les pêcheurs accroupis enfilent avec dextérité des colliers de poissons qui sècheront au soleil. Certains remaillent un filet, d’autres fument une cigarette en nous observant dessiner, perplexes. Les chèvres gambadent sur la plage.
Plus loin, des charpentiers retapent une vieille coque.
Chantier des boutres

Chèvres, Nungwi, Zanzibar

La lessive, ZanzibarA quelques pas, une jeune femme lave son linge dans un baquet calé entre ses jambes. Joli sujet ! Se sentant observée, elle lève les yeux, gênée mais flattée tout de même, pataugeant dans sa lessive. Les hommes du village m’entourent pour commenter le dessin dans leur langue chantante, riant et pointant du doigt la malheureuse. Elle se prénomme Mwanivua.

Pêcheur, Zanzibar
16h30, l’heure du départ pour la pêche de nuit. Comme par magie, la mer se couvre d’ailes blanches triangulaires, gonflées par le vent du soir.
Plaines liquides poissonneuses ponctuées par le sillage des boutres. Lumière laiteuse, ciel bas, nuages argentés striés de mauve.
Boutres, départ de pêche, Zanzibar

Je ne parviendrai jamais à atteindre le village de Kiwengwa, chaque fois happée par la tentation d’un dessin.
Kiwengwa, Zanzibar

Quand la mer se retire, quand le soleil perce à travers les nuages, alors l’horizon dessine une ligne marine tandis qu’une nappe d’algues phosphorescentes s’accroche à la lumière.
Le ciel se voile de violet violent.
Ramasseuses d'algues, Kiwengwa, ZanzibarLes ramasseuses d’algues rentrent, drapées de varech vert de cobalt.

Ramasseuse d'algues à Kiwengwa

Algues séchant au soleil, Kiwengwa, Zanzibar

La récolte du jour suspendue aux portiques de bois flotté évoque de sombres chevelures poisseuses ; et les étoiles de mer agonisent en tas puants, vermillon, pourpre et indigo.
Un troupeau de buffles défile lentement sur la plage.

Au revoir Zanzibar.
Salle d'embarquement à Stone Town
Carnet de Zanzibar, Delphine Priollaud-Stoclet