La tentation de Zanzibar

Chronique de mon voyage à Zanzibar, merveilleusement conçu à la carte par Clothilde, de l’agence Monde Authentique, en juin 2012.
11 juin 2012, Roissy CDG, Terminal 2A porte A43.
Dans l’urgence, je dessine le trio de Japonaises désœuvrées qui s’ennuient face à moi. Quatre sœurs indiennes m’accostent dans un anglais très épicé : « Oh, you’re a sketcher !!!! » Yes, indeed…

A Roissy, départ pour Zanzibar

Nous embarquons quelques minutes plus tard sur un vol Oman Air.
Ultime destination : Stone Town, Zanzibar.
Zan-zi-bar… consonances parfumées au réglisse et allitération préférée des abécédaires, rime joyeuse, le prénom magique d’une île singulièrement lointaine. Mon rêve rimbaldien prend forme, enfin… Je pars dessiner les trésors dissimulés derrière de lourdes portes sculptées, les femmes voilées métissées d’Inde, d’Afrique et d’Orient, le goût amer du café noir et la saveur des épices, l’ombre pesante des marchands d’hommes et de femmes, l’océan paré d’émeraude et de turquoise.

En vol, puis en escale à Muscat
Les hôtesses, ravissantes et attentionnées, évoluent en uniforme céruléen. Belles à croquer !

L’Orient des mille et une nuits palpite en escale à Muscat dans mon carnet Moleskine tandis que l’aquarelle souligne une ombre mordorée, un œil voilé, des tissus d’ailleurs.

Escale à Muscat

Escale à Muscat

De Muscat à Zanzibar

Le 12 juin 2012, je pose enfin le pied sur Zanzibar et les yeux sur l’Afrique orientale.
A cet instant, les heures s’allongent et les jours s’étirent.
Détendu comme un vieil élastique, sans mesure fixe, le tempo de Zanzibar bat au rythme des pages de mon carnet.

Kizimkazi

Kizimkazi

De Kizimkazi à Jambiani les acrobates enchaînent sur le sable blanc les sauts périlleux et les jeunes filles déploient leurs voiles bleus d’écolières. Les ramasseuses d’algues et les pêcheurs de coquillages entament une chorégraphie rythmée par les marées. Le sable mouillé brille en reflétant la course des nuages.

Zanzibar

Ramasseur, Zanzibar

Ramasseuses de coquillages

Enfant, Zanzibar

Jambo, jambo ! Les enfants du village, curieux, déboulent.

Princesses en haillons du dimanche et petits garçons fanfarons, la morve au nez, le verbe aigu ; ils se moquent ouvertement, singent notre accent français quand nous balbutions quelques mots de swahili, et quémandent avec un sourire éclatant un stylo, un bonbon, un dessin.

Fillette, Zanzibar

Enfants, Zanzibar
Femme, Kizimkazi

Les villageoises se méfient des esquisses à leur image. Je capte à la volée une silhouette féminine bien vite dissimulée, de temps en temps un portrait consenti.

Marcheuse, Zanzibar
Le village de Jambiani, Zanzibar
dala-dalamangrove, ZanzibarAli nous transporte en dala-dala sur Uzi Island. Expérience tape-cul du cahot ! Un baobab déploie son ombre et me parle d’Afrique. La vie s’écoule paisiblement dans ce village du bout du monde accessible uniquement par une route pavée de corail tracée à travers la mangrove arachnéenne.
Uzi Island
Inoubliable pique-nique sur la plage déserte, composé de savoureux poissons grillés au barbecue et d’ananas sucré.
Uzi Island, après le pique-nique

Boutre, Uzi IslandCertaines somnolent à l’ombre du dala-dala ; je préfère fouiller le sable à la recherche des coquillages ciselés par l’océan, ou dessiner à l’ombre d’un boutre échoué.

Le temps s’étire lentement, avec une grâce toute féline.

 

« …cette insouciance, cette apparente absence de mémoire, qui font la beauté de ces palais abolis, de ces cimetières d’une religion indécise, aux tombes renversées, de ces escaliers effondrés donnant sur des cours vides d’où jaillit la flèche d’un cocotier, de cette forteresse portugaise livrée aux piaillements des orphelins d’Etat et de ces bains persans aux coupoles béantes, alourdies de chauves-souris en grappes […] attestant que si l’Afrique est le continent où les choses vieillissent le plus vite, c’est aussi celui où elles durent le plus longtemps. »
La ligne de front, Jean Rolin

Stone Town
Aspirée par les ruelles étroites de Stone Town, je plonge au cœur de la ville mère de toutes les villes, assaillies par d’autres souvenirs de voyages.
Une parcelle de La Havane, un fragment marocain, des réminiscences vénitiennes, quelques soupçons d’Inde et d’Asie…
Stone Town
Echoppe, Stone Town, ZanzibarEnfant, ZanzibarAladin surgit à chaque croisement, espiègle, courant vers quelques menus trésors ; Shéhérazade et ses sœurs déambulent, indifférentes à ces merveilles, s’arrêtent quelques instants, happées par l’ombre d’une échoppe, puis disparaissent dans l’entrebâillement d’une monumentale porte cloutée fleurie d’arabesques, aussi vite refermée.
Stone Town
Un chat peu farouche à l’allure égyptienne se laisse caresser. Il se frotte à mes jambes, certainement un habitué de ce kiosque en front de mer des Forodhani Gardens idéal pour déguster un expresso.
Des adolescents entament un concours de plongeons ; un porte-containers barre l’horizon.
Porte-containers, Stone Town, Zanzibar
Le décor parfait pour une gouache rapide, point de départ d’une longue conversation avec le serveur, étudiant en arts plastiques. J’apprends que je suis déjà repérée dans toute la ville… « You are the painter ! »

Happy hour !Les soirées commencent par un cocktail au Mercury’s bar, quand le soleil se couche sur le ballet rougeoyant des jonques et des boutres. Elles s’achèvent par un verre sur la terrasse oriental chic du 236 Hurumzi. Des toits de Stone Town intimement enlacés émergent coupoles et  minarets sonores, balustrades en dentelle de bois et de métal ajouré, clameurs de rue.

Marché de Stone Town, Zanzibar
Au marché, Stone Town

L’âcre puanteur du poisson séché ne m’indispose même pas, les couleurs vives du marché de Darajani s’imposent avec puissance.
Une poubelle nauséabonde accapare le meilleur point de vue sur les régimes de bananes géantes et les étals de fruits et légumes.

Au marché, Stone Town

Tant pis ! Je me cale tant bien que mal en évitant les nuées de mouches vertes pour peindre la lumière orange et bleue projetée par les voiles tendues en guise de parasols, la chaleur poivrée, le rouge piquant des piments, le souffle de la foule, l’énergie nourricière et ces goûts que je devine puissants, sucrés et amers.

Quittant Stone Town, je songe à cette minuscule cellule du Marché aux esclaves où s’entassaient plus de trois cents hommes, femmes et enfants enchaînés, affamés, assoiffés, malades. On envoyait les survivants suer sang et eau dans les plantations de giroflier pour le compte du puissant sultan de Mascate.

Pêcheur, Nungwi, Zanzibar

Pêcheurs à Nungwi, Zanzibar

A Nungwi, les pêcheurs accroupis enfilent avec dextérité des colliers de poissons qui sècheront au soleil. Certains remaillent un filet, d’autres fument une cigarette en nous observant dessiner, perplexes. Les chèvres gambadent sur la plage.
Plus loin, des charpentiers retapent une vieille coque.
Chantier des boutres

Chèvres, Nungwi, Zanzibar

La lessive, ZanzibarA quelques pas, une jeune femme lave son linge dans un baquet calé entre ses jambes. Joli sujet ! Se sentant observée, elle lève les yeux, gênée mais flattée tout de même, pataugeant dans sa lessive. Les hommes du village m’entourent pour commenter le dessin dans leur langue chantante, riant et pointant du doigt la malheureuse. Elle se prénomme Mwanivua.

Pêcheur, Zanzibar
16h30, l’heure du départ pour la pêche de nuit. Comme par magie, la mer se couvre d’ailes blanches triangulaires, gonflées par le vent du soir.
Plaines liquides poissonneuses ponctuées par le sillage des boutres. Lumière laiteuse, ciel bas, nuages argentés striés de mauve.
Boutres, départ de pêche, Zanzibar

Je ne parviendrai jamais à atteindre le village de Kiwengwa, chaque fois happée par la tentation d’un dessin.
Kiwengwa, Zanzibar

Quand la mer se retire, quand le soleil perce à travers les nuages, alors l’horizon dessine une ligne marine tandis qu’une nappe d’algues phosphorescentes s’accroche à la lumière.
Le ciel se voile de violet violent.
Ramasseuses d'algues, Kiwengwa, ZanzibarLes ramasseuses d’algues rentrent, drapées de varech vert de cobalt.

Ramasseuse d'algues à Kiwengwa

Algues séchant au soleil, Kiwengwa, Zanzibar

La récolte du jour suspendue aux portiques de bois flotté évoque de sombres chevelures poisseuses ; et les étoiles de mer agonisent en tas puants, vermillon, pourpre et indigo.
Un troupeau de buffles défile lentement sur la plage.

Au revoir Zanzibar.
Salle d'embarquement à Stone Town
Carnet de Zanzibar, Delphine Priollaud-Stoclet