La Transquadra fait escale à Madère – Carnet de course en dessins

1er août 2014
Je suis scotchée devant mon écran d’ordinateur, à suivre le classement et la position des concurrents de la Transquadra. Cela fait maintenant un peu plus de 5 jours qu’ils se sont élancés depuis la ligne de départ à Saint-Nazaire. Après un beau départ, Oxymore s’est laissé distancer par Zéphyrin, Pour Aster et Solua. Il se maintient à la quatrième place, et c’est déjà pas mal du tout !
Il est temps de boucler ma valise pour Madère : décollage prévu ce soir depuis Orly Sud.
Une interminable pagaille au check-in, du retard… Bref, on embarque enfin. Je m’installe au siège 1C avec une superbe vue sur le cockpit ouvert pendant les dernières vérifications. Malgré une hôtesse peu coopérante qui me bouche sciemment la vue, je croque aussi vite que possible… J’adore m’incruster dans les cockpits pour dessiner, même si c’est de plus en plus difficile d’y accéder.
Cockpit vol TransaviaJe profite du voyage pour relire les rares mails de Laurent :
29 juillet
Hello !
on est mardi matin, je suis à une quarantaine de milles du cap Finisterre.
RAS à bord, le marin va bien, un peu barbouillé la première nuit mais c’est
passé (normal, quoi), un peu mal à une écorchure à un doigt mais comme j’ai
trop de crèmes, je ne sais pas laquelle mettre alors j’en mets pas,
j’envisage de changer de caleçon un de ces jours… et j’apprécie le
confort de mon pouf.
Quant au bateau, le bilan est, comme on disait dans les années 70 au Parti
Communiste en parlant de l’URSS, « globalement positif » : un accroc au
génois sur le balcon avant lors du départ, et un problème de port informatique qui m’empêche d’avoir les AIS sur
Maxsea !!
Le classement ne va pas être terrible ce matin, je l’attends avec assez peu
d’impatience. Mauvaise nuit.
30 juillet
Curieuse course, décidément. Après une journée d’hier où TOUT s’est fait à
l’envers, aujourd’hui, c’est la tempête !
Le sort était vraiment contre moi hier : d’abord, j’ai eu le seul moment de
quasi-pétole de toute la flotte (1/4 d’heure entre 2 nuages), ensuite,à
chaque fois que j’envoyais le spi medium, 10 mn après le vent atteignait
les 25 nds, donc envoi du lourd pour ne pas exploser le medium,et hop, le
vent passe à 14 nds… d’où re-medium, etc… j’ai fini par laisser le
lourd, mais la vitesse s’en est ressentie. Et en prim, 2 superbes
cocotiers, j’ai récupéré le code 5 entier à chque fois mais c’est un
miracle, et quel bordel après !!
Après ça, donc, tempête! le vent est monté jusqu’à 40 nds cette nuit, avec
une mer déferlante vraiment grosse. J’ai battu le record de vitesse
du bateau (15,84 nds) sous spi,et ensuite le speedo a plusieurs fois
dépassé les 14 nds sous GV 1 ris et solent… Dans cette mer, le pilote a
quand même du mal à gérer (ou bien il est mal réglé ?) donc j’ai barré
jusqu’à 5h30. Depuis, repos, j’ai trouvé une allure où le pilote accepte de
bosser (mer de l’arrière, vent un peu décalé, parfait !),le vent est un peu
tombé mais la mer reste grosse et j’hésite à briser ce fragile équilibre en
renvoyant le code 5. On va voir.
La suite au prochain numéro !
(Pour moi qui ne parle pas le marin couramment, j’ai vaguement compris qu’il y avait eu baston au Cap Finisterre !)
31 juillet
Temps breton en Algarve ?
Non, n’exagérons rien, il ne pleut pas ; mais 25°C et un ciel tout gris à
la latitude de Lisbonne, franchement…
A part ça tout va bien à bord, 20 nds de vent au grand largue, le bateau va
tout seul sous spi ; ça s’est calmé depuis hier, c’est dommage parce que
l’après-midi d’hier et le début de nuit étaient parfaits, temps superbe,
vitesse, à peu près dans la bonne direction (en tout cas pour éviter la
zone sans vent vers la côte portugaise). Le seul truc c’est que je n’ai pas
eu de classement depuis hier 14h, et que ça fait 36h qu’apparemment je suis
seul au monde, personne en vue ni à la VHF à part un cargo russe… on va
voir ce que tout ça donne lors du prochain classement !
Peux-tu m’envoyer les derniers classements par mail ?
J’atterris à Funchal au milieu de la nuit, transfert à la marina de Quinta de Lorde. Je m’écroule dans mon lit.
Arrivée de Laurent prévue demain dans la soirée.

2 août 2014
Je retrouve Madère sans réel plaisir : ce n’est vraiment pas ma destination préférée ! Mais il faut reconnaître la beauté de la pointe Sao Lourenço. Je profite de la matinée pour m’y promener et redécouvrir les roches pigmentées de vermillon, striées d’ocre doré et de violine. Mer indigo.
Pointe de Sao Lourenço
Les premiers bateaux sont arrivés dans la matinée et se succèdent. Le vainqueur de la première manche en double est 3D Développeurs immobiliers skippé par Jean-Pierre Kelbert et Hervé Perroud. Pierrick Penven, vainqueur en solo depuis Saint-Nazaire s’invite pour l’apéro en fin de matinée. Les pontons se remplissent peu à peu, et un comité d’accueil en chemises rouges fête chaque arrivée. Moi, je sirote un planteur aux fruits de la passion en faisant connaissance avec les équipages.
Les Premiers arrivésPierrick Penven, Zéphyrin

 

Déjeuner au Skipper’s Bar qui deviendra la cantine officielle de la Transquadra. Un rapide portrait de Pierrick tout juste débarqué : « J’ai perdu au moins deux kilos, quelle merde ces lyophilisés ! ».
Je harcèle le staff en rouge pour avoir une idée de l’heure d’arrivée d’Oxymore. Ils sont morts de rire et me prennent pour une grande angoissée… Pas du tout ! J’aimerais juste comprendre comment on fait pour estimer le temps restant avec le relevé des positions. Bon, on finit par m’expliquer le rapport entre les miles nautiques et les noeuds et j’en déduis que Laurent devrait poser pied à terre vers minuit.

Marina Quinto de Lorde, MadèreJe dîne en saisissant au vol la belle lumière du soleil couchant. Les drapeaux multicolores flottent au vent, la montagne s’embrase. Plus qu’à attendre maintenant…
A 19H06, je reçois ceci :
Arrivée prévue vers 23H30 heure française, hâte de te voir !
Je le trouve bien optimiste : mes savants calculs m’indiqueraient plutôt 1 heure du mat’ et non 22H30, heure locale… Je décide de mettre le Champagne au frais et de dormir un peu. Vers 23H15, me voilà munie de ma bouteille, me dirigeant d’un pas mesuré vers les pontons avec un bouquin et ma frontale pour patienter… Mon téléphone sonne : « Ben alors, qu’est-ce que tu fous ? Ca fait 1 heure que je suis arrivé. Le bateau est amarré ! «  Je me précipite vers le ponton C, juste dégoûtée de ne pas avoir été là au bon moment… La faute aux relevés de positions !
Oxymore a donc franchi la ligne d’arrivée à 22H40, au bout de 6 jours, 6 heures, 19 minutes et 40 secondes de course. On fête ça dignement au Champagne !
Laurent semble en pleine forme : il m’obligerait presque à plier la grand voile à 1 heure du matin… Après quelques rangements « Faut absolument que je le fasse maintenant » et trois faux départs « Attends, j’ai oublié un truc à bord », il pose enfin pied à terre. Dur de quitter le navire…
Avant d’éteindre la lumière :
Moi : « Alors, tu es content ? »
Laurent : « Bof, j’aurais pu mieux faire… »
Moi : « C’est super, quatrième ! »
Laurent : « J’suis pas content de moi… Pas pris assez de risques ! »
Moi : « Pffffff… Bonne nuit ! »
Arrivée d'Oxymore3 août 2014
La marina grouille de monde : presque tous les bateaux sont arrivés. On s’active sur le pont, les familles mettent la main au rangement, au rinçage, au nettoyage. Belle ambiance de fin de course. Chacun commente sa traversée et les équipages se retrouvent avec plaisir.
Rockall lave son lingeComment résister à cette brochette de gants, mitaines usées par les bouts et les écoutes ? Et le linge sale de Rockall qui sèche en tas sur le ponton !
Tandis qu’au Skipper’s Bar,le staff travaille dur… Le rouge n’est pas que sur les chemises !
Le staffRetour après déjeuner sur les pontons. Laurent s’affaire à bord d’Oxymore et j’observe avec amusement les salopettes suspendues aux haubans, les mocassins-bateau accrochés à un chandelier, les cordages emmêlés, les branchements sauvages…
Rangement sur les pontons
Je convaincs finalement Laurent de m’accompagner pour une promenade sur le cap. Superbe lumière.
Installée à l’abri d’un rocher pour dessiner, je livre un véritable combat contre le vent qui souffle violemment ! La peinture fait ce qu’elle veut, je cours après mes pinceaux qui s’envolent, les pinces à dessin ne suffisent pas pour maintenir mon carnet en place. C’est terrible !
Falaise à Sao Lourenço4 août 2014
Une bonne journée commence toujours par un croquis au port. La séance de réparation de voile fait parfaitement l’affaire !
L’intérêt suscité par mes petits dessins m’étonne toujours… C’est peu de choses, mais rien ne me touche davantage que de voir les personnes tourner les pages du carnet en souriant, en commentant, en se rappelant, en se projetant.
Le carnet de voyage est un magnifique moyen de communication et d’échanges.
Réparation des voilesLassés par « la cantine », nous choisissons de pique-niquer sur une plage de galets en contrebas de pointe Sao Lourenço. Un délicieux moment prolongé par une baignade à l’eau claire.
Je m’arrête au retour pour dessiner une vue plongeante de la marina Quinta do Lorde. L’ensemble comprend une marina privée, un hôtel 5* et des appartements, à quelques kilomètres de Caniçal et de Machico. C’est sympa mais très isolé, et nous tournons vite en rond. Un sujet de plaisanterie entre les équipages.

Marina Quinta do LordeJe redescends tout juste pour assister à l’arrivée d’Artisan, the last one, au bout de 8 jours de courses et un stop en Espagne à l’hôpital pour William Caldwell, blessé mais sans gravité. Ca y est, ils sont enfin tous là…
L'arrivée d'Artisan5 août 2014
Laurent accuse la fatigue de la course et nous traînons toute la journée, entre la piscine d’eau de mer, la piscine à étages et la piscine devant notre chambre. Nous passons également pas mal de temps à discuter avec Valérie, la seule femme solo, avec Jean-Pierre, sa femme Sophie, Dominique, Erwann, Hervé, Patrick, François… On refait la course, on cause gréement, pannes, casses, mécanique et stratégie.
Nous sommes conviés par la direction du Quinta do Lorde à un cocktail de présentation. Un groupe de danse folklorique fait son entrée, le vin de Madère coule à flots et fidèle à mes crayons, je croque l’évènement !
Les danseursCocktailUn ballet de chemises blanches, « Les concurrents », et de chemises rouges, « l’organisation », les enfants qui s’amusent comme des fous, les « femmes de » heureuses d’avoir retrouvé leur mari marin.

6 août 2014

Après quelques déboireAu Pico Ruivos pour louer une voiture, pour finalement nous retrouver sans rien, coincés à Quinta do Lorde Land, Dominique (Groupe 5) propose de faire voiture commune.
Nous voilà partis en direction du Pico do Areeiro. Je demeure décidément insensible aux charmes de Madère, pourtant réputée pour être la perle de l’Atlantique… Dominique prend d’un bon pas le chemin de randonnée tandis que je râle contre le vent, les marcheurs, les escaliers, le vertige, le paysage…

Lézard à MadèreMême les lézards sont suicidaires !

Laurent : « Dis-donc, tu ne serais pas un peu caillou dans la chaussure, toi ? »
Je négocie l’arrêt de la randonnée, et une balade à Funchal via un détour par une petite marche pour débutants paresseux à Balcoes.
Je croque en chemin une tricoteuse de bonnets de laine… Il fait 30 degrés !

La tricoteuse de Balcoes

Chaleur étouffante à Funchal. Pause fraîcheur avec un sorbet à l’ananas dans le vieux quartier aux maisons colorées traversé par les cabines du téléphérique.
Funchal

Dominique nous attend au restaurant du Pico do Areeiro, où nous arrivons après un trajet épique. Quand la voiture refuse littéralement d’avancer en première au milieu d’un raidillon au-dessus d’un ravin, on n’en mène pas large !
Dîner entre JPK.
Au menu :  chansons paillardes, vin rouge et plans sur la comète…
Dîner JPK

7 août 2014
Laurent règle les derniers détails pour l’hivernage d’Oxymore à Madère pendant que je range le frigidaire et décide de mitonner une petite salade de harengs-pommes à l’huile pour finir les restes. En quête d’un oignon, je croise Sophie qui nous invite à déjeuner sur Yemanja, le JPK 38 d’Hervé. Nous partagerons avec Valérie, Jean-Pierre, Sophie, Frédéric (Coco), sa femme, Hervé et les enfants la salade et mille autres bonnes choses. Moi qui avais juré ne plus jamais me laisser embarquer dans une croisière, je suis conquise par ce bateau spacieux et lumineux.
Moi : « Tu vois, si t’achète ça, je pars en croisière avec toi ! »
Laurent : « Sérieux ???? »
Moi : « Ben oui… Y a une vraie cuisine, des vraies cabines, un vrai cockpit… »
Laurent : « Pffff… J’aime trop mon bateau pour changer ! »
Moi (intérieurement) : « Ouf ! »
JPK38

Le banquet de clôture se prépare activement. Les barbecues fument, et les tables se dressent en rouge et blanc. La plupart des bateaux sont à présent au sec sous la piste de l’aéroport, les pontons sont vides. Finie la frénésie des premiers jours. L’heure est à la détente, on pense au retour et même à la deuxième manche. J’ai déjà réservé mon billet d’avion et la location d’un appartement au Marin en Martinique. Les skippers évoquent la difficulté de convoyer le bateau en Cargo. Tout le monde a déjà un peu quitté Madère…
Que la fête commence !
Soirée de clôture

Proclamation du classementProclamation du classement.

Les assiettes et les verres sont pleins, les langues déliées.
Laurent se couche à 4 heures du matin.
Moi, à moitié réveillée : « Non mais t’as vu l’heure ???? »
Laurent (sourire alcoolisé) : « C’est quand même une course super sympa… »
Soirée de clôture

8 août 2014
Pascal nous dépose à l’aéroport.
Nous sommes plusieurs à repartir par le même vol Transavia en direction d’Orly Sud.
Il pleut à Paris.

Merci à tous ceux qui se sont laissés croqués, aux équipages, au staff de la Transquadra.
Et vivement la Martinique !

4 réflexions sur « La Transquadra fait escale à Madère – Carnet de course en dessins »

  1. C’est toujours un réel plaisir de te lire et découvrir tes dessins et aquarelles d’ambiance. Vif, incisif et expressif, comme tu nous l’enseigne.
    Bravo à Laurent et toi pour cette belle aventure que vous nous faites partager comme si on y était. C’est super intéressant, on vit tout ça avec vous et les différents équipages dans une ambiance bon enfant mais pro.
    Et même si Madère n’est pas ta tasse de thé, tu as rendu des paysages avec des couleurs sublimes et ça ferait même envie d’y aller.
    Encore mille Bravo.

    • Merci Marie ! C’était une semaine vraiment sympa, avec beaucoup d’émotion et d’apéros (plus que de tasses de thé :-))

  2. Super Delphine. On s’y croirait. Tout y est. L’ambiance de l’arrivée. Les concurrents, les bateaux, les femmes de marins qui « ralent »… J’adore.
    Et je suis sure que Laurent n’aura plus de pétole et voguera toutes voiles dehors vers la Martinique.
    Bon vent à vous deux.
    Fabienne

    • Merci Fabienne ! La suite au prochain épisode : en Martinique, avec un ti punch à l’arrivée !

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