Petit matin

La Santa, Lanzarote

La nuit accouche d’une matinée toute rose et fraîche. Pas l’ombre d’un nuage pour ternir le jour qui grandit à toute vitesse.
Les pêcheurs arrivent déjà en trainant les pieds.
Il est 7 heures.
J’entends leurs voix cassées par le tabac. Les mégots s’accumulent devant le banc sous la fenêtre de ma chambre.
Ils s’exclament en raclant les r comme si un ennemi visqueux se cramponnait à leurs bronches.
Les rires fusent, gras du saucisson qu’ils avalent en guise de petit-déjeuner.
Je bois une gorgée de café brûlant sans sucre. Un oubli.
L’amertume m’étouffe avec le sadisme d’un pervers qui enfoncerait dans ma gorge un chiffon pelucheux.
Dehors les hommes s’énervent de plus en plus fort, les verres s’entrechoquent, les femmes jacassent en faisant crisser leurs
chaises.
Je lâche ma tasse qui bascule dans une position grotesque. Elle roule d’un côté, puis de l’autre. On dirait un bateau en perdition.
Moi aussi.
Le café dégouline. La flaque aux reflets dorés qui brille sur le carrelage absorbe mon regard. Je coule.
Trop de bruits, l’odeur de la fumée des cigarillos mêlée avec celle du café froid me coupe le souffle, le soleil si clair.
Une inspiration, retour à la surface. J’éponge.
L’éclat des voix s’estompe au fur et à mesure que s’éloignent les hommes en retard et leurs épouses pressées.
Silence.
Un café noir. Deux sucres.
J’ai besoin de peindre et de douceur.

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