Lanzarote, l’écho d’une île

Une autiste Asperger en voyage

La Santa, Lanzarote, août 2021

Certains rochers ont le privilège de la beauté. Des colorations naturelles qui les font rares, profondément attachants, sensibles.

Ils possèdent une texture particulière : dans les grains, les failles, les reliefs, les motifs. Une expression unique qui s’animera avec le ressac et le mouvement du soleil.

Un rocher doit s’apprivoiser : ne pas laisser fuir son reflet, accrocher le regard à une rugosité pour qu’elle ne s’échappe pas.

Le décomposer, face à face.

L’isoler, le considérer comme le fragment précieux d’un paysage de valeurs.

La vue se brouille si vite.

J’ai toujours l’eau à la bouche quand j’ai trouvé le bon point de vue, comme si je m’apprêtais à déguster un bon gâteau.

Là, se dresse au premier plan une masse violette qu’il faudra atténuer pour ne pas dresser de barrière entre moi et l’océan. Elle projette la silhouette d’une chimère qui rampe sur le sable mouillé.

Voilà que je ne distingue plus qu’une mosaïque d’ombres portées. Abstraction du reste.

Il me faut cligner des yeux pour revenir à moi.

Ne pas oublier de faire briller quelques éclats de coquillages.

Un chaos de basalte déboule vers la mer. Des cailloux dépassent, surmontés d’une coque blanche. Ils fendent le ciel d’un coup de lame.

Penser à déchiqueter sur les bords.

Ne pas se ramollir.

Amples les gestes, sans petits mouvements.

Papier aquarelle 300 grammes grain fin, cellulose. Les fibres de coton absorbent la couleur en empêchant toute forme de repentir.

J’aime les marges nettes, bien droites, bien blanches. Ainsi, pas question de se laisser déborder.

Je vérifie si mes rochers respirent en me reculant sans cesse. Les gens doivent me prendre pour une folle.

Ne rien pétrifier.

Je les caresse avec mon pinceau, je les abreuve de pigments dilués, à refus.

Ils me font signe, à leur manière.

Se détendre, calmer le jeu. Sinon, on perd l’équilibre.

Plus de brun par ici, une pointe de bleu par là. L’indigo illumine une ombre mieux que n’importe quel gris quand il s’accorde avec le son de l’orange. Il arrive que certaines notes de couleurs me désintègrent quand elles explosent trop fort.

Je me bouche les yeux, j’en fais trop, plus de mesure perte de connaissance je tremble j’ai peur je fonce les couleurs et dans le vide.

Je ne sais plus, je m’égare. Trop de détails se bousculent. Les couleurs s’agrègent en une carapace de pigments impossible à transpercer.

Les reliefs s’aplatissent sous les coups de brosse, une pluie de matières s’abat. L’horizon se brouille.

La bataille est perdue.

Le ciel se déchire enfin, dévoilant une trouée de flou au creux de laquelle je rêve de me pelotonner. J’oublie un instant l’enfer des nuances démultipliées à l’infini que je n’arriverai jamais à fixer.

Demain, je recommencerai.

Sisyphe et son rocher.

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