Paros, si désirable

Carnet de voyage à Paros, Parikia. Aquarelle, Delphine Priollaud-Stoclet

Dans l’avion qui survole la mer Égée, tandis que sous moi défilent les îles des Cyclades, je ferme les yeux en imaginant ma première promenade dans les ruelles de Parikia.
Contrairement au bateau dont la lenteur me rend malade d’impatience, l’avion me transporte d’un tour d’hélice magique de Paris à Paros. Une seule lettre qui fait toute la différence, un monde à part.
Est-ce que les bougainvillées exploseront encore cette année en myriades de fleurs rougissantes ? Le rose magenta excite les sens, indécent.
Incandescence.
La vieille dame au chignon gris qui arrose son basilic à la tombée du jour en bavardant avec elle-même, un peu moins vaillante chaque été, sera-t-elle encore là ?
A Paros, je suis heureuse.
A Paros, la joie me serre le cœur dans ses bras rayonnant de soleil.
A Paros, je dégouline de lumière.

J’arpente ce dédale de rues que je connais par cœur, jouant à ne pas poser le pied sur les lignes blanches peintes au sol qui dessinent des dalles imitant la peau des girafes. Et les volets bleus, les clochers nacrés dépassant des murs aux courbes meringuées.
L’odeur du jasmin répandue sur les marches qui grimpent jusqu’à la petite église Saint Constantin ne semble pas déranger un chat roulé en boule.

Les yeux rivés sur la mer d’un bleu si profond que le soir ne saurait griser, je me demande pourquoi je reviens chaque année. 
A Paros, je m’étonne de tout et tout m’est familier.

Précédé d’un panache de fumée, un point jaune surgit à l’horizon. Le Blue Star Naxos semble vouloir se précipiter sur la jetée. Sa rampe bascule sur le quai avec une précision sidérante, vomissant d’abord camions et voitures au taquet, puis la meute des vacanciers pressés de quitter le navire.
Bruits de chaînes, coups de corne, sifflements policiers.
Les voyageurs sur le départ s’engloutissent par centaines dans la gueule béante du ferry qui se referme déjà, tandis que les hauts-parleurs crachotent en musique l’annonce imminente du départ.
Sur le pont, les passagers s’agglutinent contre le bastingage en agitant leurs bras minuscules. Puis disparaissent, en route vers Naxos, Mykonos ou Santorin.
La manœuvre n’aura pris que dix minutes.

Le meltem se calme quand la nuit tombe.

Je commande un ouzo, le premier de l’année.
Le goût étoilé de l’anis annonce les vacances.

Ma Méditerranée, chroniques bleues.
Carnet de voyage à Paros, juillet 2019

Carnet de voyage à paros, delphine Priollaud-Stoclet. Aquarelle et croquis sur le vif.

Tokyo, la belle méconnue

Tsukuda-Carnet de voyage à TokyoL’inextricable enchevêtrement de pilotis évoque un jeu de mikado géant jeté comme ça, qui se serait planté dans la vase pour soutenir les jardinets de bric et de broc bordant le canal en cul de sac, étonnant diverticule de la rivière Sumida.
A Tsukuda, les maisonnettes affichent avec un charme fou leurs étroites façades débraillées. Tôles ondulées, bâches rapiécées avec des bouts de ficelle, bidons et pots de fleurs désordonnés décrivent l’âme d’une ville que l’on croit souvent inhumaine. Un peu plus loin se reflète le sanctuaire Shinto blotti à l’ombre des tours qui découpent le ciel.
J’imagine ce petit port grouillant d’activité quand les pêcheurs débarquaient leurs seaux remplis de poissons frétillants. Pensaient-ils alors que ce bout de sable remblayé pour faire surgir au milieu de la Sumida une île dédiée à l’art de la pêche dessinerait aujourd’hui à Tokyo les contours d’une parenthèse enchantée suspendue entre deux eaux ?
Le soleil jette une lumière blanche et froide. Réchauffant mes doigts engourdis avec en guise de chaufferette une canette de café brûlant achetée à une de ces innombrables vending machines qui ponctuent les rues de Tokyo, j’esquisse d’un délicat trait vermillon les balustres ajourées du Tsukudako Bridge.
Des cris d’enfants à l’heure de la récréation, le clapotis des amarres, le chuchotement d’une roue de vélo.
Ce soir, je quitte Tokyo.

Les stages Carnet de voyage de l’Atelier de la Salamandre

Essaouira fait la belle

Essaouira, rue d'Irak, Carnet de voyageA deux pas d’ici, la rue Mohammed El Quouri explose de couleurs, de clameurs et de saveurs sucrées-salées. Les cinq sens s’exposent à toutes les expériences… Peindre ce coeur palpitant. En immersion.
Carnet de voyage à Essaouira, octobre 2017.

 

Carnet de voyage à Naples

Carnet de voyage à Naples, Delphine Priollaud-StocletCarnet de voyage à Naples, avril 2017, Delphine Priollaud-Stoclet.
Début d’après-midi. Une brise légère, du soleil. J’arpente les ruelles pentues du quartier Spagnoli, un peu triste et déprimée, à la recherche d’un point de vue capable de me faire sourire. Fatiguée sans doute.
Vico Grotta Mastrodatti surgit à un carrefour. Des mètres et des mètres de caleçons aux jambes pendantes et remuantes, de draps rendus fous par le vent, de serviettes éclatantes au soleil animent les maisons en faisant dialoguer l’intime d’une lessive avec des façades qui en ont vu bien d’autres.
Je m’amuse avec les coulures d’ombres et de lumières, les pigments qui scintillent, un dialogue improbable (engueulade ou mots d’amour ?) qui passe en force à travers les volets entrouverts.
Tout à coup résonne l’Ave Maria de Schubert. Il se rapproche, je dessine, je regarde, concentrée. De plus en plus fort, juste derrière moi. Bêtement, je pleure. Le soleil éblouissant ? La musique ? Autre chose ? Je me retourne : ils sont là, deux petits garçons roumains transportant une énorme radio crachant Schubert à tue-tête et qui m’observent peindre sans rien dire, de longues minutes. Puis ils disparaissent et la musique aussi.
Encore une ou deux lignes, une tache de rouge et de jaune. Du blanc. Une pause.

Souvenir de vacances – Tellaro, Cinq Terres, Italie

Carnet de voyage dans les Cinq Terres, Italie, TellaroJuin 2016, Tellaro
Feuilletant mes dessins d’été, je retrouve cette aquarelle esquissée à Tellaro à l’heure du Spritz les pieds dans l’eau.

Tellaro, c’est un ravissant village de pêcheurs encore préservé des hordes de touristes agglutinés dans les villages perchés des Cinque Terre, à quelques encablures de là…
Pardonnez-moi ce cliché de vacances au soleil, mais rien ne me donne le sourire comme croquer la dolce vita à l’italienne.

Un croquis, une histoire. Jaisalmer, une ville en or

Jaisalmer, Rajasthan

Jaisalmer, Rajasthan

Jaisalmer, Rajasthan (Inde), 3 décembre 2015

En ce milieu d’après-midi brûlant, la ruelle étroite bordée d’encorbellements de pierre ciselée si finement qu’en comparaison la dentelle paraît une broderie grossière, s’enfonce vers une flaque de soleil abolissant tous les contours.
La couleur dorée si particulière de la pierre de Jaisalmer qui rappelle le sable du désert du Thar tout proche, a donné à la ville son surnom de ville jaune.

Jaisalmer est une ville précieuse où l’or et la boue s’enlacent et s’entrelacent.

Une petite terrasse surélevée borde la rue dans le prolongement de la maison, avec une chaise en plastique abandonnée là qui offre un confort et un point de vue parfaits.
Je m’assois là pour dessiner, protégée de la foule des rats filant dans les rigoles d’égoûts à ciel ouvert.
Un peu plus tard, un père et son petit garçon prennent place également.
Il crache avec une régularité de métronome et un affreux raclement de gorge. Je préfère ne pas y penser.

L’enfant s’enhardit, attrape alors un crayon dans ma trousse. Le père s’excuse avec un sourire qui retrousse sa moustache.
J’arrache une feuille pour le petit.
Il gribouille en poussant des cris de joie, et sur mon croquis, avec un peu de gris de Payne mélangé au violet de cobalt, s’illuminent les dernières touches d’ombre.

J’abandonne à Jaisalmer un crayon de papier contre le rire d’un enfant.

Un croquis, une histoire. Indian truck

  1. Indian truck, crayons aquarellables

La route défile à un train d’enfer entre Udaipur et Bijaipur, ponctuée de cahots et de klaxons.
Vaches divagantes, cochons vagabonds, saris éclatants ondulant dans un nuage de poussière jaune, attelages de fortune. Des femmes portent en guise de coiffure d’incroyables fagots de branchages qui les transforment en équilibristes. D’autres se pavanent en amazone à l’arrière d’une mobylette, scintillantes de paillettes et breloques au kitsch magnifique.
Mais les rois de la route, ce sont les incroyables camions Tata, pavoisés comme des temples roulants pour divinités pétaradantes. Pompons porte-bonheurs, fleurs en plastoc, chromes rutilants, grigris et amulettes, décorations peintes avec amour pour conjurer le mauvais sort et les accidents. Il le valent bien !
Scotchée à la fenêtre du bus, je croque à toute allure ces monstres arc-boutés sous un improbable chargement qui doublent sans ménagements. Alertés par un coup de corne tonitruant, on se rabat vite fait, marmonnant en silence une prière afin qu’un essieu ne cède pas là, juste devant nous. Ou pour dégager par la force de la pensée une sacrée vache plantée sur la quatre voies, indifférente au Dieu Tata.

Out of the window – 10 janvier 2016

Par la fenêtre

Trop frileuse pour dessiner dehors en hiver, je regarde par la fenêtre de ma cage d’escalier, bien au chaud. Les arbres tout nus, les cheminées fumantes et les jardinets abandonnés. Le bambou géant du voisin affiche une santé éclatante, comme une touche de printemps lumineuse dans la grisaille d’un dimanche matin de janvier.
Carnets de quotidien, Le Perreux sur Marne,  Delphine Priollaud-Stoclet. Encre et aquarelle.