#6 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

12 février 2015

C’est parti pour une belle journée « vadrouille et plage » dans le sud de l’île.
Nous nous promenons de Grande Anse à Anse Noire, tranquillement, au rythme martiniquais si joliment nonchalant.

Pêcheurs à Grande Anse

Pêcheurs à Grande Anse, encre et aquarelle. Delphine Priollaud-Stoclet

Première halte à Grande Anse.
Laurent a cassé son masque en marchant dessus pendant la course (no comment…) et cherche désespérément à s’en racheter un autre avec le tuba assorti pour s’adonner aux joies du snorkeling.
Je l’attends en croquant sous un soleil de plomb ce retour de pêche et la séance de vidage de poisson sur la plage.
Nous logeons la côte jusqu’à Anse Dufour, idyllique crique minuscule où poser sa serviette fait un bien fou ! Nous nageons dans une eau chaude et turquoise, à l’affut des petits poissons multicolores peuplant à foison rochers et coraux. Je suis capable de rester barboter des heures à observer la parade des chirurgiens bleus fluo, des labres bicolores, des poissons-soldats, poissons-perroquets, des orphies vif-argent et des sardes, des demoiselles rayées, des gorgones alanguies et des coraux phosphorescents…

Anse Dufour

Anse Dufour, encre et aquarelle, Delphine Priollaud-Stoclet

Nous aurons même la chance de faire connaissance avec deux belles tortues de mer peu farouches, à seulement quelques mètres de la plage.
Je passerai rapidement sur le détestable accueil dont nous avons été victimes au restaurant Sable d’or, un endroit à fuir absolument malgré la superbe vue sur Anse Dufour. Profitez plutôt des délicieux accras de Marie-Jo qui tient de main de maître une gargote de plage bondée à l’heure de midi ! Y dégoter une table relève de l’exploit, mais ça vaut le coup.
Après une baignade digestive à Anse noire la bien nommée à cause de son sable gris foncé, juste à côté de Anse Dufour, nous faisons route vers le Marin.
J’aimerais bien arriver avant le coucher du soleil pour dessiner la vue magnifique depuis le bout de ponton de la pompe à essence des bateaux.

Le Marin au crépuscule

Le Marin au crépuscule, encre et aquarelle, Delphine Priollaud-Stoclet

Sitôt arrivés, je fonce à la pompe, course contre la montre avec le soleil qui décline à toute vitesse. Sous les tropiques, la nuit tombe à pic sur les coups de 18h00 et il faut faire vite.
Cédric, le pompiste, me tient compagnie tandis que je dessine au gré des lumières parées de rose et d’or annonçant un crépuscule étoilé.
Comme ces moments rares sont délicieux…

L'arrivée des Ponpons sur Jubilation

L’arrivée des Pompons sur Jubilations, encre et aquarelle. Delphine Priollaud-Stoclet.

Dans la soirée, nous assistons en direct à l’arrivée des Pompons sur jubilations, en double sur un JPK 1010, petit frère d’Oxymore.
Ce sympathique équipage belge arbore fièrement bérets à pompon porte-bonheur et uniforme de petit marin.
Extrait de leurs impressions à chaud recueillies par les Rouges : « …. au début de la traversée, nous avons navigué comme des « idiots ». ( ce n’est pas exactement le terme employé …) Nous nous croyions en régate et avons foncé, foncé, sans ménager le matériel. Un violent départ à l’abattée, qui a détruit notre balcon avant et un chandelier, nous a ramené les pieds sur terre … la Transquadra n’est pas une régate de la journée … il faut ménager le matériel … Ensuite, nous nous sommes faits piéger dans la bulle. Nous comptions rester 48 heures dans la calmasse … en fait nous sommes restés 6 jours à régater avec nos peaux de banane. Nous avons pu plonger pour checker la quille et l’embase. La dernière calmasse, 24 h avant l’arrivée était vraiment de trop ! … » (source : blog de la Transquadra, 13 février 2015)
Nous trinquons avec eux, bien sûr !

#5 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

11 février 2015

L'hydrogénérateur, démontage

L’hydrogénérateur, démontage, encre et aquarelle

Il fait une chaleur à crever aujourd’hui.
Pour moi, c’est Coca light avec plein de glaçons à l’Annexe, tandis que Laurent s’en est allé tout frétillant dès potron-minet. « J’vais bricoler sur le bateau… »
Vers midi, je pars aux nouvelles et découvre mon Laurent tout rouge, en sueur,  tirant comme un âne sur un truc situé à l’arrière d’Oxymore.
Moi : « Tu fais quoi ? »
Laurent : « Mrrrffffffffhhhh…. Putain de merde de chier de cochonnerie de merde ! »
Moi : « ??????… heu, c’est sur quoi que tu tapes comme un sourd avec ton marteau ? »
Laurent (comme si c’était évident) : « J’essaye de virer l’hydrogénérateur, mais cette putain de vis est tordue !  »
C’est assez marrant à dessiner… Je finis tout juste d’écrire la légende, quand deux ravissantes petites blondinettes s’arrêtent pour regarder mon croquis :
« C’est beau Madame !  »
Moi : « Merci !  »
Blondinette n°1 : « Qu’est ce que vous avez écrit, là ? »
Moi (en cachant le dessin) : « Rien rien ma chérie… enfin, des gros mots pas beaux que disaient le monsieur sur le bateau !  »
Laurent : « Hein ? »
Moi, l’air de rien : « Quoi ? »
D’autres se livrent à côté à des occupations non moins périlleuses : le pliage des voiles ! Je vous assure que cela demande un sacré coup de main…

Le pliage des voiles

Le pliage des voiles, encre et aquarelle.

Ouf, l’hydrogénérateur est finalement démonté et j’apprends que nous sommes attendus pur un pique-nique sur la plage des Salines. On y va en bateau, bien sûr.
C’est la première fois que je navigue sur Oxymore. Bien que mariée à un vrai marin, je déteste faire du bateau : j’ai peur, j’ai mal au cœur, je ne sais rien faire à bord et l’idée de barrer me rend malade. Quant à savoir d’où vient le vent, c’est une autre affaire… Laurent a fini par renoncer à m’expliquer !
En mer j’ai le QI d’une huître et le teint verdâtre d’une algue moisie.
Nous jetons l’ancre avec quatre ou cinq autres bateaux devant le décor enchanteur de la longue plage des Salines. L’apéro bat son plein : planteur à volonté !

Pique-nique aux Salines

Pique-nique aux Salines, encre et aquarelle.

La plage est magnifique. Je ne résiste pas au plaisir de dessiner les uns et les autres, glanant ci et là des bribes de conversations. La petite Rose s’est finalement endormie à même le sable, fatiguée par un gros rhume, et nous bavardons tranquillement en la surveillant du coin de l’œil.
Un dernier croquis rapide avant d’aller prendre le café, invités sur le catamaran de croisière de Jacky, un ami de Jean-Pierre Kelbert et de Sophie.

Plage des Salines

Plage des Salines, encre et aquarelle

Je n’avais jamais visité de gros cata comme celui-ci : il est magnifique et j’aurais presque envie de faire une croisière dessus…
Nous rentrons tranquillement au Marin tandis que tombe la nuit.
C’est bien les vacances au soleil !

#4 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

10 février 2015

Corvée de plonge

Corvée de plonge, encre et aquarelle.

Laurent est une parfaite petite ménagère dès qu’il s’agit de bichonner son bateau et je le retrouve ce matin en train de récurer toute sa vaisselle sur le ponton 5.
Je patiente en dessinant les belles pelotes de cordages patiemment rincées puis enroulées par Hervé qui finissent de sécher sur le pont de Léon.

Les cordages de Léon

Les cordages de Léon, encre et aquarelle.

Puis j’immortalise la cocotte de Pour Aster. Une cocotte, appelée également cocotier, c’est un peu le cauchemar de Jean-François Hamon qui a ainsi ravagé ses spis les uns après les autres. Imaginez le spi, une voile très puissante, si étroitement entortillé autour de l’étai qu’il devient impossible de le libérer sans tout déchirer.

La cocotte de Pour Aster

La cocotte de Pour Aster, encre et aquarelle.

Je parviens enfin à convaincre Laurent de quitter le ponton pour découvrir les environs du Marin. C’est parti à bord de notre petite Twingo de location ! Nous mettons aujourd’hui le cap vers la distillerie Neisson au Carbet, bien décidés à rapporter quelques bouteilles pour remonter le niveau de nos réserves de rhum.

Carnaval des enfants à Rivière Pilote

Carnaval des enfants à Rivière Pilote, encre et aquarelle

A Rivière-Pilote, les enfants défilent en costumes au son d’une sono tonitruante installée dans le camion-benne de la ville. C’est une explosion de bruit, de paillettes et de couleurs ! Les écoles se suivent à travers les rues du village dans un joyeux désordre en brandissant panneaux décorés et banderoles criardes. Je sors mon carnet pour croquer à toute vitesse sans perdre une miette du spectacle.

Le Carbet, rue du Commandant Philipe Paraclet

Le Carbet, rue du Commandant Philipe Paraclet, encre et aquarelle

Nous arrivons au Carbet après un savoureux déjeuner les pieds dans l’eau, sur la plage. Les accras étaient délicieux, surtout accompagné d’un ti punch bien citronné.
Pendant que Laurent se baigne, je m’installe dans la rue, attirée par cet alignement de petites maisons recouvertes de bois baignées dans la lumière. On aperçoit le bleu franc de l’océan, juste après la route. Pas un bruit, sauf les clameurs lointaines d’un défilé de carnaval.
Une dame s’approche pour me proposer un tabouret. Elle s’appelle Lucia, ravie de reconnaître sur mon dessin sa maison, celle avec le rideau qui flotte au vent. Elle me raconte qu’elle et son mari Max viennent de rentrer en Martinique après toute une vie passée à travailler en métropole. Fait du hasard, ils habitaient juste à côté de mon atelier ! Le monde est tout petit… Là, ils finissent de retaper la maison familiale, celle que j’ai dessinée. Je repars avec un kilo d’oranges amères délicieusement parfumées. « Elles viennent directement du piton. Elles sont amères et douces. »
Un oxymore.
Laurent (finissant de sécher au soleil) : « dis-donc, elles sont extensibles tes 20 minutes ! Ça fait 1 heure que je t’attends !  »
Moi : « Ben, je discutais. Regarde, on a des oranges pour le ptit déj !  »
Laurent : « Bon, filons à la rhumerie avant que ça ferme. »
Çà, c’est sacré…

#3 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

9 février 2015

Oxymore à l'arrivée

Oxymore à l’arrivée, encre et aquarelle

Après l’heure de l’arrivée, voici venue l’heure du rangement !
Nous avons laissé Oxymore en vrac, trop fatigués hier soir.
En montant à bord, Laurent s’exclame : « Je vais ranger, je jure !  » tandis qu’un journaliste pointe son micro pour l’interviewer.
Jetant un oeil à l’intérieur, je suis effarée par ce que je découvre : un tas de voiles en boule, de la vaisselle sale, des cordages abandonnés, des vêtements épars ! C’est monstrueux, une vraie vision d’horreur ménagère, mais absolument réjouissant pour dessiner.
Tandis que Laurent raconte sa course en long, en large et en travers, je démêle à la pointe du pinceau spis, focs, gênois, harnais et tutti quanti.
Quand on voit l’état de son bureau à la maison, ce n’est finalement pas si différent.
Nous croisons François, skipper sur Crescendo, un peu plus loin sur le ponton. Il rigole en découvrant le dessin.  » Tu peux faire la même chose sur Crescendo ?  » Allez, me voici donc promue croqueuse de bazar marin…

Crescendo à l'arrivée

Crescendo à l’arrivée, encre et aquarelle.

Assise en haut de la descente, je contemple un fatras puant, légèrement incommodée par l’odeur mâle qui s’en dégage. Eux, ils étaient deux, et ça se sent !

La journée s’écoule tranquillement au rythme des pots à l’Annexe, des retrouvailles, des histoires de course, des arrivées qui se succèdent.
Laurent est dans une forme olympique ! Tandis qu’il plie ses voiles au carré, je sirote un coca en écoutant d’une oreille distraite les conversations des Rouges.

A l'Annexe

A l’Annexe, encre et aquarelle

Les rues du Marin sont désertes.
Sauf une vieille dame affalée sur une chaise devant sa porte, qui semble assoupie. Elle ouvre un oeil tandis que je la croque à toute vitesse.
_ Vous faites quoi, vous ?
_ Moi ? Heu… rien…
_ Vous êtes là pour quoi ?
_ Mon mari a fait la Transquadra, il est arrivé hier soir.
_ Ah.
Elle ferme les yeux. Silence.
_ Ahhhhh, c’est pas comme ces jeunes qui ne font rien ! Vous, vous faites quelque chose, au moins.
_ ???
_ Aie aie aie aie aie…Ahhhhhhhhh… Ces jeunes !
Finalement, je décide d’écourter mon dessin !

La vieille dame du Marin

La vieille dame du Marin

Le Marin

Le Marin, encre et aquarelle

Quel bonheur de croquer depuis notre terrasse une forêt de mats ensoleillés et tintinnabulants. Je commence enfin à me sentir un tout petit peu en vacances…

Marina du Marin

Marina du Marin, encre et aquarelle

Laurent bricole sur Oxymore, tandis que sur le ponton 5 il règne une vie incroyable. Quelle ambiance ! Les équipages se saluent, plient les voiles, briquent le pont, lavent leur linge sale en famille, discutent, lorgnent l’état du bateau voisin, comptabilisent la casse. On échange des nouvelles :  ceux qui sont encore loin, les démâtés, les touchés-coulés… Cette édition fut riche en péripéties, mais heureusement, aucune perte humaine à déplorer.
26 janvier 2015 : Flor Da Rosa démâte et fait route vers les Canaries sous gréement de fortune. Quattro démâte également et met le cap vers le Cap Vert.
Le 27 janvier, Patrice Carpentier tombe à l’eau, rattrapé de justesse par son équipier Dominique Bleichner.
28 janvier : Laminak démâte à son tour. L’équipage demandera son évacuation le 1er février.
30 janvier : Zinzolin chavire, roulé par une déferlante. Malgré une très grosse frayeur, l’équipage est récupéré sain et sauf par un cargo. Le bateau est abandonné.
4 février : Solua coule suite à une voie d’eau. Renaud Barathon a pu être évacué à bord de Ven dan Vwell, l’équipage martiniquais de la course.
Et puis on ne compte plus les spis déchirés, les safrans dézingués, les pannes électroniques, les mats qui bougent tout seuls…

Scène de vie ordinaire sur le ponton 5

Scène de vie ordinaire sur le ponton 5, encre et aquarelle

Jean-Pierre Kelbert, perché en haut de mât, hurle à Hervé :
_ Ça y est ! J’ai viré le messager !
_ Je peux te descendre maintenant ?
Moi : « Heu… C’est pas très sympa ce que tu lui dis-là !  »
Hervé : « ???? »
Moi : « Non mais, quand on descend quelqu’un c’est tout de même un peu définitif ! »
Hervé : « Mais j’vais pas le laisser là-haut, quand même ! »
Moi : « Laisse tomber… Heu, non, pas tout à fait !  »
Hervé : « ???? »
Moi : « Rien rien… »
C’est corrosif, le sel marin, parfois…

JPK en haut du mât

JPK en haut du mât, Encre et aquarelle

On croise Dominique Bleichner devant Groupe 5.
_ Alors, raconte-nous ce sauvetage !
_ On a eu peur… C’est dingue comment on peut avoir les bons réflexes… A une ou deux minutes, Patrick était mort.
La voix tremble.
_ Allez, c’est l’heure de l’apéro. Tu viens ?

#2 Transquadra, Madère – Martinique, Carnet de voyage

8 février 2015

Marina du Marin

Marina du Marin, Carnet de voyage Transquadra, Delphine Priollaud-Stoclet

Réveillée par le bruit de la pluie battante contre les volets, j’émerge à 4h30 du matin. Les joies du jetlag…
Malgré la nuit encore bien noire, il n’est pas difficile de comprendre qu’il fait un temps épouvantable.
Le jour se lève d’un coup, dévoilant un ciel plombé. Il pleut à torrents et un brouillard gris floute les contours de la marina.
Mon premier dessin martiniquais sera donc en noir et blanc.
Je tente une expédition au marché du Marin, escomptant une éclaircie miraculeuse. Peine perdue, j’arrive trempée et mes tongs font flic-flac. Mais bien vite, le charme des étals débordants de fruits appétissants aux couleurs chatoyantes et la faconde des marchandes me réchauffe comme un coup de soleil.

Le marché du Marin

Le marché du Marin, gouache et encre.

« Ah ben vous êtes encore là ! »
Je sursaute en reconnaissant mon voisin de siège dans l’avion.
Je tente un « Tiens, vous aussi vous êtes de la Transquadra ? » avec un petit sourire entendu. Il me dévisage, interloqué, comme si je lui avais demandé s’il faisait partie d’une secte : « heu non, on s’apprête juste à partir en croisière entre amis… » Je plonge le nez dans mon dessin en bafouillant : « Ben, bonnes vacances alors !  »
Direction la Marina pour repérer le QG de la Transquadra. J’erre comme une malheureuse toute dégoulinante de pluie à travers les boutiques à touristes, les shipchandlers et les loueurs de catamarans de croisière en essayant de me repérer. Croisant le chemin de deux équipiers de la Transquadra fraîchement arrivés, nous discutons 5 minutes tout en cherchant le bureau de course.
_ Félicitations ! Vous êtes arrivés quand ?
_ Dans la nuit…
Je suis stupéfaite de leur trouver l’air si détendu après 15 jours de course. Moi qui suis défaite au bout de 8 heures de vol passées à lire, manger, dessiner et regarder des films…
_ Alors, tout s’est bien passé ?
_ Super, à part les sargasses qui nous ont pourris. (Une ombre passe dans leur regard soudain plein d’une haine féroce… Vous croyez que j’exagère ?)
_ Ah oui, Laurent m’a demandé de lui expédier des millions de tonnes d’acide sulfurique pour en venir à bout.
_ Nous, on a pensé au napalm !
Au PC course, un rouge me confirme l’arrivée de Laurent prévue dans la soirée, vers 20h30. J’ai tellement hâte de le serrer dans mes bras.
« Bon, vous avez toute la journée pour vous en l’attendant, profitez-en !  »
Il s’est enfin arrêté de pleuvoir.
Je déambule sur le ponton 5 où s’alignent les les premiers arrivés, dont Pierrick Penven sur Zéphyrin, radieux vainqueur des solitaires toutes catégorie.

Pierrick Penven sur Zéphyrin

Pierrick Penven sur Zéphyrin, Encre et aquarelle

Puis je m’attaque à Marylou, juste à côté.
De plus en plus menaçants, les nuages s’accumulent à nouveau et le ciel noircit. Çà y est, les premières gouttes tombent drues et je n’ai que le temps de plier mes affaires en pestant.
_ Allez, venez vite vous mettre à l’abri !
Waouh… un jeune homme brun et ténébreux me fait signe de monter à bord de son gros bateau à moteur.
_ Merci, c’est vraiment sympa.
_ Pour l’art, on ferait n’importe quoi, dit-il en souriant avec des yeux qui pétillent.
Installée sur une banquette moelleuse, à l’abri d’un auvent de toile, dessiner sous la pluie prend alors une toute autre dimension.

Marylou au ponton 5

Marylou au ponton 5, encre et aquarelle

De retour à la maison, je fais un truc qui me paraissait impensable aux Antilles : une tasse de thé brûlant et un long bain bouillant pour me réchauffer car je suis totalement frigorifiée… et désespérée par ce temps pourri qui ne semble pas vraiment sur le point de s’arranger.
Bien décidée à profiter malgré tout de mon après-midi, je réserve une excursion sur l’Aquabulle, un bateau à coque de verre qui permet d’observer les fonds marins. Un plan « vacances débiles à la c… », mais pour une fois, j’assume !
J’embarque donc à 15h00 en compagnie d’un groupe de braves retraités bedonnants et de familles encombrées d’enfants surexcités. Delphine, ne te plains pas, c’était couru d’avance. Tiens, un coin de ciel bleu se dévoile.
Même à travers les parois vitrées de l’Aquabulle et les commentaires ridicules de mes voisins, la magie opère : je ne me lasse pas du spectacle des poissons vibrionnants entre les coraux tels des éclairs d’arc-en-ciel.

Les petits poissons

Les petits poissons, encre et aquarelle

Après une baignade – snorkelling, Clément sert le gouter à bord .
Et hop, un planteur ! Il n’est que 16h30, mais c’est délicieux à n’importe quelle heure.

Clément de l'Aquabulle

Clément de l’Aquabulle, gouache

Fin d’après-midi au Marin.
Je consulte fébrilement les derniers relevés de position. Oxymore est toujours prévu dans la soirée, malgré le vent qui faiblit.
A l’Annexe, je déguste un fabuleux ti punch accompagné d’accras croustillants. J’enchaîne avec le pot de bienvenue offert aux familles par l’Office du Tourisme du Marin. OK pour le planteur fruits de la passion ! J’ignore si mon foie résistera à mes vacances martiniquaises…
Le ciel se pare de teintes flamboyantes et la nuit tombe brutalement. J’ai la tête qui tourne mais impossible de résister à l’appel d’un dessin, surtout quand la lune s’en mêle. Incroyables nuances bleu nuit, bleu marine, bleu roi. Les mats se dressent comme des tiges suspendues par dizaines aux étoiles.
Affalée sous un lampadaire, je goûte le bonheur de peindre les fières silhouettes des bateaux au mouillage en tendant l’oreille pour glaner au vol des bribes d’aventure. « … le premier qui nous sert un plat d’algues au restau, il est mort… »

Marina du Marin, nocturne

Marina du Marin, nocturne, gouache

Comment tuer le temps avant l’arrivée d’Oxymore… Je suis pompette.
Tu me manques et les dernières minutes sont interminables. N’y tenant plus, je me hâte vers la jetée, munie d’un livre pour patienter et d’une bouteille de Champagne. La VHF d’un rouge qui fait les cent pas grésille. Ça y est enfin, on annonce l’arrivée imminente de deux bateaux. Mon cœur fait des bonds. C’est bien toi !!!!!
A 20h19 et 54 secondes tu franchis la ligne d’arrivée, second des solos. Encore un peu de patience avant de voir s’avancer dans le port la coque grise d’Oxymore derrière le zodiac des rouges qui te guide jusqu’à ta place. Enfin, tu t’amarres vers 21h15.
On t’accueille avec des applaudissements et un verre de rhum. Tu souris, radieux avec ta barbe de 15 jours, bronzé, vif et alerte comme si tu venais de faire une simple promenade en mer. Je me jette littéralement dans tes bras en m’envolant sur Oxymore juste avant de me faire engueuler par le rouge qui doit vérifier à bord que tout est bien conforme.
C’est un moment magique : flashs des appareils photo, caméra, interview. J’essuie discrètement une larme de fierté et de joie.
Quelle belle victoire !
Tu as réalisé ton rêve.

Laurent à l'arrivée, Transquadra 2015

Laurent à l’arrivée, Transquadra 2015

Un croquis, une histoire. Crêpes stambouliotes

Carnet de voyage à Istanbul. Confection des crêpes, restaurant Han

Carnet de voyage à Istanbul. Confection des crêpes, restaurant Han. Delphine Priollaud-Stoclet ©
Encre et brou de noix.

Il fait un temps de chien à Istanbul et je meurs de faim.
Nous avons arpenté la ville toute la journée et affronté une pluie diluvienne, glaçante, assortie de bourrasques de vent qui ont décimé toute une population de parapluies : nous avons beaucoup ri en regardant les gens courir après leur parapluie retourné… lequel finissait dans une poubelle pleine de ses semblables aussi mal en point que lui.
Installées en vitrine d’un restaurant à touristes de Sultanhamet, à deux pas de Sainte Sophie, deux femmes confectionnent de fines crêpes en un tour de main. Il ne m’en faut pas plus pour pousser la porte, ayant repéré une table libre offrant un point de vue tout à fait stratégique pour dessiner. La carte est affreusement chère et l’endroit tient plus du hall de gare que du restaurant romantique. Tant pis ! Je dessine sous l’oeil curieux d’une famille venant de Dubaï avec laquelle j’entame une discussion plaisante et décalée sur la pluie et le beau temps parisien… Un serveur tente une incursion par-dessus mon épaule, la crêpière me sourit timidement. Comme j’aime ces délicieux moments de partage grâce au dessin. Pour la remercier, je la croque une deuxième fois et lui offre l’esquisse, avant d’attaquer ma crêpe aux épinards bien méritée !

Carnets de vacances… Carnets de voyage de Delphine Priollaud-Stoclet

Quand il fait gris, je plonge la tête la première dans mes carnets colorés… pour me noyer dans mes petits souvenirs de vacances ! Je déteste griller sur la plage, mais quel bonheur de bronzer en croquant le délicieux spectacle des vacances tandis que le secouriste veille au grain… A suivre l’été prochain !

La plage, Théoule sur Mer

La plage, Théoule sur Mer, feutre et aquarelle.

A quoi sert le dessin, à fortiori le carnet de voyage ?

Souk Attarinne, Marrakech

Souk Attarinne, Marrakech, novembre 2014. Delphine Priollaud-Stoclet

« Le travail de l’auteur suggère la possibilité d’une fiction suprême, reconnue comme fiction, dans laquelle l’humanité pourrait à soi-même s’offrir un comblement. Dans la création d’une telle fiction, quelle qu’elle soit, la poésie serait dotée d’une importance vitale. Les nombreux poèmes qui se rapportent aux interactions de la réalité et de l’imagination doivent être considérés comme situés en marge de ce thème central. »
Wallace Stevens, Lettre,

Remplacez « auteur » par « peintre » et « poésie » par « dessin »…

La clameur de Djema El Fna

La clameur de Djema El Fna, Carnet de voyage au Maroc, novembre 2014


À quoi sert le dessin, à fortiori le carnet de voyage ?

À produire une belle image marketée sur papier glacé, un cliché reproductible et déclinable à l’infini reprenant tous les codes « style carnet de voyage » : joli dessin exotique sur papier journal, collages d’étiquettes usées et désuètes, calligraphies abusant des pleins et des déliés, aquarelle brillante et belle facture … Bref, une image formatée comme un tube de l’été avec une recette qui a fait ses preuves ? Ou bien est-ce une mémoire sensible, une image intériorisée moins immédiate et plus difficile à cerner, une prise de risques et une recherche parfois déstabilisante et pas toujours très jolie ? Un territoire inconnu finalement, à mille lieux des sentiers balisés et rebattus qui ont la faveur de tous ceux qui craignent finalement ce qui leur est étranger et demande un effort…
Le débat est ouvert !

Et pour ceux qui s’intéressent à la question de l’interprétation, de la vérité, du statut de l’oeuvre par rapport à la réalité, je vous invite à découvrir le poème de Wallace Stevens, poète américain (1879-1955) intitulé Treize façons de regarder un merle.
Ce poème montre à quel point notre manière de regarder, d’observer la réalité et l’interprétation qui en découle modifie notre perception. Il n’existe pas de point de vue unique, mais une infinité d’imaginations (de « mises en images ») possibles et subjectives. En tout cas, il est bon de s’éloigner des apparences…

I
Entre vingt pics neigeux,
Tout était immobile
Hormis pour l’œil d’un merle.

II
J’avais trois idées en tête,
Comme un arbre
Où sont juchés trois merles.

III
Le merle tourbillonnait dans les vents d’automne —
Une petite partie de la pantomime.

IV
Un homme et une femme
Sont un.
Un homme et une femme et un merle
Sont un.

V
Je ne sais ce que je préfère
De la beauté des inflexions,
De celle des sous-entendus.
Le merle sifflotant,
Ou juste après.

VI
Des glaçons garnissaient la fenêtre allongée
De verre barbare.
L’ombre du merle la traversait
De part en part.
On sentait,
Tracée dans cette ombre,
Une indéchiffrable cause.

VII
Ô vous, minces hommes d’Haddam,
Pourquoi aller imaginer
Des oiseaux d’or? Mais voyez donc:
Le merle marche entre les jambes
Des femmes qui sont près de vous.

VIII
Je sais de fort nobles accents,
Des rythmes clairs, inéchappables;
Mais je sais, aussi, que le merle
Fait partie de ce que je sais.

IX
Lorsque l’œil le perdit de vue,
Le merle en vol marqua le bord
De l’un des cercles innombrables.

X
Apercevant des merles
En vol dans un jour vert,
Jusqu’aux macs d’euphonie
Qui poussent de hauts cris.

XI
Il passait le Connecticut
Dans une berline de verre.
La peur une fois le saisit:
Il prit l’ombre de ses coursiers
Pour des merles.

XII
La rivière est en branle.
Le merle doit voler.

XIII
Tout l’après-midi, il fit soir.
Il neigeait
Et il allait neiger sous peu.
Le merle restait
Perché dans les branches du cèdre.

Coney Island, Carnet de voyage à New-York, avril 2014

Coney Island, New-York

Coney Island, New-York, Delphine Priollaud-Stoclet. Gouache sur papier bleu.

Au bout de la ligne N, la grande roue de Coney Island surplombe une improbable fête foraine désertée.
Les baraques à frites s’alignent, store baissé, enseignes éteintes. Hot-dogs de néons mettant à la bouche une eau fade et insipide.
Et les manèges censés faire peur exhibent un décor de montagnes russes bigarrées d’un autre temps.
Au premier plan, la plage s’affiche, soudain illuminée par un coup de soleil.
La fête prend des couleurs tandis que cinq adolescents fous se déshabillent et plongent dans l’Océan en hurlant ! Il fait 5 degrés…

Paris, je t’aime ! Carnet de voyage à Paris

Comme il est agréable de musarder au soleil… Voilà que je me prends pour une touriste en goguette à Paris, le temps d’une belle journée de printemps !
Je dessine la Pyramide du Louvre en clignant des yeux (j’ai bien sûr oublié mes lunettes de soleil…) tandis que m’attendent au Palais-Royal les colonnes à rayures de Buren.

Musée du Louvre, Carnet de voyage à Paris

Musée du Louvre, Carnet de voyage à Paris
Encre de Chine et feutre tubulaire

Je m’amuse à croquer badauds et touristes pique-niqueurs, solitaires ou en grande conversation…

Les Colonnes de Buren, Carnet de voyage à Paris

Les Colonnes de Buren, Carnet de voyage à Paris
Encre de Chine et feutre tubulaire.

Et je rentre à la maison avec l’impression d’avoir été en vacances, malgré la cohue du RER et une pile de paperasses en retard sur mon bureau !